CDM 1982 : « Paolo Rossi, une histoire unique » (Richard Coudrais)

CDM 1982 : « Paolo Rossi, une histoire unique » (Richard Coudrais)

6 janvier 2023 1 Par Nicolas Basse

Co-auteur, avec Bruno Colombari, de l’ouvrage « Espagne 82, la Coupe d’un nouveau Monde » (Solar, 2022), Richard Coudrais évoque la compétition qui a vu l’Italie remporter sa troisième Coupe du monde, après 1934 et 1938. Avec un Dino Zoff héroïque, un Bruno Conti sous-coté ou encore le miraculé Paolo Rossi, sous les ordres du légendaire Enzo Bearzot.

La Coupe du monde 1982 est la rencontre du passé romantique et du futur cynique qui pointe pour le football. Pourquoi ?


L’opposition du cynisme et du romantisme existe depuis toujours, mais elle a été particulièrement prégnante lors de cette édition. On garde le souvenir de deux rencontres particulièrement cruelles, Italie-Brésil (3-2) et RFA-France (3-3, puis 5-4 aux TAB) où l’équipe la plus séduisante a à chaque fois été battue. Plus aucune sélection ne joue aujourd’hui comme ont joué la France et le Brésil en 1982, c’est-à-dire en misant tout sur la créativité de leur milieu de terrain et avec une organisation défensive assez sommaire.

L’Italie et la RFA (République fédérale d’Allemagne), que l’on a retrouvées en finale, ont montré un visage plus “réaliste” comme on disait à l’époque, avec une volonté d’acquérir un résultat quoi qu’il en coûte. Elles ont usé de toutes les ficelles pour y parvenir : elles passent le premier tour sans remporter le moindre match ou en livrant un non-match pour sécuriser le score. Elles pratiquent un football physique voire violent, illustré par des personnages comme Claudio Gentile ou Harald Schumacher. 


Italie-Brésil, un match légendaire ?


C’est un match qui est régulièrement cité parmi les dix plus grands de l’histoire de la Coupe du monde. C’est d’abord une surprise énorme, car peu de monde s’attendait à une victoire des Italiens. Et c’est un scénario fou : l’Italie mène au score mais le Brésil égalise et donne l’impression qu’il va s’en sortir (un match nul lui suffit).

Mais l’Italie, jusqu’alors assez timorée, est très forte ce jour-là (je crois d’ailleurs ne l’avoir jamais vue aussi forte depuis). Non seulement elle est solide derrière, mais elle brille offensivement, grâce à la résurrection miraculeuse de Paolo Rossi, auteur de trois buts alors qu’il avait été fantomatique depuis le début du tournoi. 


Quelles sont les innovations techniques du mondial ? 


Comparé à aujourd’hui, la Coupe du monde 1982 était encore très artisanale. Patrick Urbini, journaliste qui était présent, nous a indiqué que l’on trouvait peu de prises électriques dans la tribune de presse. La technologie n’avait pas encore fait son entrée sur le terrain. L’arbitre n’avait que ses yeux et son sifflet pour diriger le match (et quelques cartons aussi). Les publicités autour du terrain étaient de grands panneaux fixes et immuables. Certains panneaux d’affichage étaient manuels, notamment à Elche, le stade où s’est joué Hongrie-Salvador (10-1). C’est à ces détails qu’on s’est aperçu, Bruno et moi, que quarante ans avaient passés.  


L’Italie est désignée tête de série malgré des résultats très moyens… Pourquoi ?


À l’époque, il n’y avait pas de classement FIFA pour désigner les têtes de série, ça se négociait dans les couloirs entre gens de bonne compagnie. Pour la Coupe du monde 1982, la FIFA avait fait les choses simplement en désignant le pays hôte et les cinq sélections qui avaient acquis un titre mondial dans le passé. C’est donc grâce à ses triomphes de 1934 et 1938 que l’Italie a été désignée tête de série au Mondial 1982. 


Comment jauger le groupe de l’Italie au premier tour (Pologne, Cameroun et Pérou) ?


Il était assez difficile de savoir ce que valait ce groupe. L’Italie n’avait plus remporté un match depuis six mois (un 1-0 péniblement arraché à Naples face au Luxembourg). Face à elle, la Pologne était dans le flou car elle n’avait pas pu se préparer correctement en raison de la situation au pays. Le Pérou avait fait bonne impression au Parc des Princes quelques semaines plus tôt, mais on l’attendait dans le contexte d’une compétition. Quant au Cameroun, c’était sa première Coupe du monde et le mystère était complet. La plupart des joueurs évoluaient encore au pays et les médias occidentaux s’y intéressaient peu.


L’Italie se qualifie sans aucune victoire au 1er tour…


Il y a eu cinq matches nuls sur six dans le groupe. L’Italie et la Cameroun font trois nuls chacun, mais les Italiens font deux 1-1 contre un seul pour le Cameroun. La Squadra Azzurra passe au nombre de buts marqués. Sur le plan du jeu, elle est vraiment médiocre. Sa défense est solide, mais son jeu offensif est indigent malgré un excellent Bruno Conti, mais un Antognoni peu entreprenant, un Graziani brouillon et un Paolo Rossi fantomatique. 


Elle atterrit dans le groupe C au deuxième tour, avec le Brésil et l’Argentine. Promise à l’élimination ?


C’est clair. Dans l’esprit des gens, ce groupe se résumait à un duel entre Argentine et Brésil, voire à un passage de témoin. On faisait peu de cas de la Nazionale qui n’avait rien démontré au premier tour. Mais dès le premier match, les Italiens parviennent à battre les Argentins (2-1), ce qui commence à ébranler les certitudes. 


Comment expliquer le regain de l’Italie après son 1er tour fade ?


Il y a plusieurs explications, à mon avis. La sélection italienne était une équipe de contre et elle était empruntée dès qu’il fallait faire le jeu, ce qu’on lui demandait au premier tour. Au second tour par contre, elle a pu laisser ses adversaires prendre le jeu à leur compte et procéder par contre-attaque, ce qui lui a plutôt bien réussi. Ensuite, elle a pu compter sur un Paolo Rossi retrouvé et doté d’une insolente réussite. Et puis le reste de l’équipe a pris confiance au fur et à mesure du tournoi. 


Quel bilan tirer du mondial de Zoff ?


Dino Zoff a toujours été un gardien très critiqué en Italie. Ses deux Coupes du monde précédentes (1974 et 1978) n’avaient pas été à son avantage et on évoquait son déclin alors qu’il venait de dépasser les quarante ans. Mais en Espagne, il a été très bon, même s’il manque sa sortie sur le but camerounais au premier tour et se fait abuser par Socrates au second. Il réalise une fin de match énorme contre le Brésil, sans doute le meilleur de sa carrière, qui le réhabilite aux yeux des Italiens. La victoire finale et le trophée qu’il va chercher en tant que capitaine le font définitivement entrer dans le panthéon du foot italien. Ce qui était loin d’être gagné un mois plus tôt. Aujourd’hui, il est considéré comme l’un des plus grands gardiens de l’histoire. 


Comment définir le style de jeu de Bearzot ?


Enzo Bearzot était un entraîneur à l’italienne, avant tout pragmatique. C’était un adepte du marquage individuel et du catenaccio à la Herrera. Il misait également sur la complémentarité de joueurs de la Juventus de Turin – ils étaient six dans le onze type en Espagne – et s’appuyait sur le travail de Giovanni Trapattoni, entraîneur de la Vecchia Signora depuis 1976. C’était aussi un incroyable conservateur. L’équipe de 1982 était pratiquement la même que celle qui avait disputé la Coupe du monde 1978. Il maintenait sa confiance quoi qu’il arrive, même quand certains n’étaient pas au top. On l’a vu avec Zoff et avec Rossi. 


Paolo Rossi, l’une des plus belles histoires personnelles lors d’un mondial ?


C’est une histoire unique en effet. Il n’avait pas joué pendant deux ans à cause d’une suspension liée au scandale du Totonero. Il est toutefois appelé par Bearzot parmi les 22 pour l’Espagne alors qu’il a à peine repris la compétition. Et il est même titularisé ! Le pari de Bearzot était fou : on sait qu’un bon joueur peut retrouver ses qualités après trois ou quatre matches de compétition. Il a donc maintenu sa confiance en Rossi malgré des premières prestations indigentes. Rossi s’est réveillé contre le Brésil en lui collant trois buts et il a plané jusqu’à la fin du tournoi, redevenant le renard des surfaces qu’il était en début de carrière. Il termine meilleur buteur du tournoi puis est élu meilleur joueur avant de rafler le Ballon d’Or en fin d’année. Après ce bel été espagnol, il rentre dans le rang, enquiquiné par quelques blessures au genou.


Paolo Rossi obtient en effet le Ballon d’or en 1982. Mérité ?


Peu de Ballons d’Or dans l’histoire font l’unanimité, mais celui de 1982 a été particulièrement commenté. Rossi lui-même s’est toujours interrogé sur sa légitimité à recevoir ce trophée. On n’est même pas sûr qu’il était le meilleur Italien du tournoi : Zoff ou Conti auraient tout aussi bien fait l’affaire. Mais quand on regarde le classement en détail, on voit que Rossi a une confortable avance sur Giresse (FRA) et Boniek (POL). C’est donc qu’il le mérite quand même un peu. 


Peux-tu expliquer l’imbroglio Italie/Coq Sportif ?


C’est une histoire assez inimaginable aujourd’hui, tant les équipementiers font la pluie et le beau temps un peu partout. Mais en 1982, la fédération italienne ne voulait pas qu’un logo vienne souiller le maillot azzurro. Seul le scudetto aux couleurs du drapeau était présent au niveau du cœur. L’équipementier des Italiens souhaitait toutefois avoir un peu de visibilité et avait demandé aux joueurs de porter la veste de survêtement avec le logo au moment des hymnes. Le Coq Sportif habillait également le Cameroun et l’Argentine lors de la Coupe du monde 1982. C’était une belle année pour la marque française car outre les champions du monde, elle équipait aussi les champions d’Europe (Aston Villa) et les champions de France (Monaco). 


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