Paolo Rossi, le miraculé de Sarrià

Paolo Rossi, le miraculé de Sarrià

22 avril 2022 6 Par Richard Coudrais

Parmi les joueurs italiens qui remportèrent la Coupe du monde 1982, Paolo Rossi fut le plus exposé. Meilleur buteur du tournoi, sa résurrection l’a mené vers le Ballon d’Or.


Paolo Rossi a disputé deux Coupes du monde avec l’équipe d’Italie. En 1978 comme en 1982, le scénario fut à peu près le même : sa titularisation par Enzo Bearzot fut vivement discutée avant que le principal intéressé ne retourne l’opinion en sa faveur. En 1978 comme en 1982, l’équipe d’Italie avait commencé le tournoi en plein doute, en n’ayant pas remporté le moindre match depuis six mois. En 1978 comme en 1982, elle a terminé l’épreuve dans un concert de louanges et Paolo Rossi a été consacré comme un héros inattendu.


Révélation en Argentine


En Argentine, c’est Francesco Graziani, le buteur du Torino, qui était destiné à occuper le front de l’attaque entre les ailiers Causio et Bettega. Malgré son attachement au club turinois, Enzo Bearzot changea d’avis au dernier moment. Pour le premier match contre la France à Mar Del Plata, il écarta Graziani pour titulariser Paolo Rossi.

C’est à l’occasion d’une ultime rencontre de préparation de la Squadra, contre une sélection d’Italiens de Buenos Aires à la Bombonera, que l’entraîneur frioulan avait pris sa décision. Graziani avait beau être puissant, efficace et expérimenté (26 ans, 22 sélections), Bearzot paria sur la jeunesse et la mobilité du jeune attaquant de 22 ans qui ne comptait que deux sélections. Il ne put que s’en féliciter lorsque son protégé égalisa contre la France à Mar Del Plata à l’occasion du premier match de la Coupe du monde.

L’Italie l’emporta 2-1 contre la France et ne cessa dès lors d’attaquer tout au long du tournoi. Paolo Rossi inscrivit deux autres buts (contre la Hongrie, puis l’Autriche) et devint la vedette de cette belle équipe d’Italie qui, à défaut de remporter l’épreuve, fut considérée comme la meilleure du tournoi.

Paolo Rossi, natif de Prato en Toscane, avait été recruté dès l’âge de seize ans par la Juventus de Turin, après qu’il a tapé dans l’œil d’un certain Luciano Moggi. Sa formation fut toutefois perturbée par de nombreuses blessures au genou qui nécessitèrent notamment trois opérations. Il put faire ses débuts sous le maillot bianconero comme ailier droit mais les dirigeants ne croyaient plus vraiment en lui. Ils le prêtèrent à Côme puis le cédèrent à Vicenze. Paolo Rossi, devenu avant-centre, y développa des talents de buteur et fit monter le club parmi l’élite, remportant au passage le titre de capocannoniere. Il renouvela l’exploit à l’étage au-dessus, ce qui incita Enzo Bearzot à s’intéresser au phénomène.


Le retour du banni


La Coupe du monde en Espagne, en 1982, reprit la même trame que celle de 1978. Avant le début du tournoi, Paolo Rossi n’existait plus aux yeux des tifosi. Deux ans plus tôt, il avait été accusé d’avoir touché de l’argent pour faire perdre le club de Pérouse où il était prêté. Le scandale du Totonero secoua l’Italie tout entière et se cristallisa sur le beau Paolo qui hurlait pourtant son innocence. Sa suspension prit fin quelques semaines avant que les Azzurri ne s’envolent pour Vigo. A la surprise générale, Enzo Bearzot avait décidé de l’emmener en Espagne, au détriment du romain Roberto Pruzzo, meilleur buteur de Serie A, mais qui plaisait peu au sélectionneur.

Les tifosi s’en mordirent les doigts. Non seulement l’attaquant de la Juve (qu’il avait rejoint durant sa suspension) était dans les 22, mais il fut titularisé dès le premier match contre la Pologne à Vigo. Rossi, aligné aux côtés de Graziani, accusa son manque de forme et fut transparent. Quatre jours plus tard contre le Pérou, sa performance fut tout aussi indigente et Bearzot le fit sortir à la mi-temps. On annonça dès lors que Rossi était écarté.

Il était pourtant bien présent pour le troisième match contre le Cameroun. C’est même lui qui envoyait un centre parfait vers Graziani, inscrivant d’une reprise de la tête le but de la qualification. On constata quelques progrès sur le plan physique et ceux-ci se confirmèrent à Barcelone lors de la première rencontre du deuxième tour face à l’Argentine. On soupçonna même son réveil lorsqu’il s’échappa ballon au pied seul vers le but argentin. A l’entrée de la surface, il frappa mais le gardien argentin s’interposa. Heureusement, le ballon fut récupéré par ses coéquipiers, qui donnèrent à cette action la conclusion qu’elle méritait : le but de la victoire.


Triplé contre le Brésil


La victoire italienne sur les champions du monde en titre résonna comme une grosse surprise dans un Mondial qui n’en manquait pas. On n’avait pourtant encore rien vu. Six jours plus tard, les hommes d’Enzo Bearzot étaient confrontés au magnifique Brésil des Sócrates, Zico et autres Falcão, que tout le monde voyait déjà brandir la Coupe du monde. Ce furent pourtant les Italiens qui prirent le match en main et ouvrirent le score après seulement cinq minutes. Cabrini avait envoyé un long ballon aérien dans la surface brésilienne que Rossi reprit victorieusement de la tête. L’événement était considérable : l’attaquant italien marquait son premier but international depuis trois ans.

Ce fut un match d’une extraordinaire intensité, entre un Brésil qui ne pouvait pas perdre et une Italie qui trouva des ressources insoupçonnées pour se mettre à la hauteur de l’événement. Rossi fut bien près d’inscrire un deuxième but dans la foulée lorsqu’il fut lancé par un ballon de Conti. Mais il préféra donner le ballon à Graziani, qui lui semblait mieux placé, mais qui envoya le ballon dans les nuages.

Quand l’immense Sócrates égalisa, on cru que la rencontre allait basculer pour les favoris brésiliens. Mais ceux-ci possédaient une technique tellement supérieure qu’ils se laissaient aller parfois à quelques facilités. Alors qu’il reçut un ballon de son gardien, le milieu de terrain Toninho Cerezo commit une passe hasardeuse en direction de coéquipiers à peine concentrés. Alors surgit Paolo Rossi qui s’empara du ballon, courut vers le but brésilien pour battre Valdir Peres d’un tir qu’un bon gardien aurait sans doute arrêté, mais pas lui. C’était la première fois du tournoi que le Brésil encaissait deux buts et une certaine nervosité s’empara des joueurs au maillot doré.

En deuxième période, le Brésil crut avoir fait le plus dur en égalisant par Falcão, joueur de l’AS Roma. Mais cet après-midi ensoleillé devait être celui de Paolo Rossi. Les Italiens attaquèrent de plus belle. Sur une frappe de Tardelli, Rossi se trouva à point nommé pour tromper une troisième fois Valdir Peres. Le monde du football fut abasourdi par la nouvelle : La besogneuse Italie et son attaquant fantomatique venaient de terrasser l’invincible Brésil.


La risurrezione


La résurrection de l’attaquant italien se poursuivit comme dans un rêve. Paolo Rossi inscrivit les deux buts de la demi-finale contre la Pologne puis ouvrit le score en finale contre la RFA. Enzo Bearzot avait réussi le plus risqué des paris : celui de réveiller les instincts du champion malgré son manque de compétition en sacrifiant quelques matchs le temps de trouver le rythme.

Paolo Rossi devint champion du monde et meilleur buteur du tournoi. Il fut alors désigné meilleur joueur de la compétition, ce qui sembla un peu exagéré. Puis il remporta six mois plus tard le trophée du Ballon d’Or, récompensant le meilleur joueur européen de l’année. Paolo Rossi mit longtemps à réaliser la portée de son exploit.

Le reste de sa carrière fut plutôt fade, souvent perturbée par de récurrentes blessures. Il s’était retrouvé dans les rangs de la Juventus, aux côtés de Zoff, Gentile, Scirea, Tardelli, Cabrini mais aussi de Platini et Boniek, ce qui faisait de la Vieille Dame l’équipe la plus armée pour conquérir la Coupe des Clubs champions. Elle fut bien près d’y parvenir dès l’année suivant le triomphe de Madrid, mais elle s’inclina en finale contre Hambourg. Lorsqu’elle parvint à ses fins, ce ne fut qu’à l’issue de la dramatique soirée du Heysel où la victoire sembla bien dérisoire.

Fatigué par les blessures, mais aussi par le monde du football dont il se sentait un peu étranger, Paolo Rossi mit fin à sa carrière à 31 ans, après deux saisons erratiques à Milan et à Vérone. Il avait été sélectionné par Enzo Bearzot à la Coupe du monde 1986 mais il n’y fit aucune apparition.

Paolo Rossi est décédé à la fin de l’année 2020. La nouvelle de sa mort a plongé l’Italie dans un immense chagrin, aussi fort et soudain qu’avait été la joie provoquée par son triplé de Barcelone face au Brésil.


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