L’eldorado du football italien (1980-1994)
Dans les années 1980, les meilleurs joueurs du monde se sont donnés rendez-vous en Serie A, laquelle est devenue le plus beau championnat de l’histoire.
Il faut remonter à la Coupe du monde 1966 pour comprendre ce qui a fait de la Serie A le plus beau championnat du monde dans les années 1980. En inscrivant le but qui élimine la Squadra Azzurra dès le premier tour de la World Cup 1966, le Nord-Coréen Pak Doo-Ik a instillé une idée forte dans les mentalités italiennes : La Nazionale manque de bons joueurs car dans les clubs, les postes les plus importants sont occupés par des footballeurs étrangers.
La révolution du Calcio
Aussitôt terminée la Coupe du monde anglaise, la FIGC, fédération italienne de football, décrète la fermeture des frontières aux footballeurs étrangers. Ceux qui jouent déjà en Serie A peuvent bien entendu aller au bout de leur contrat dans leur club et peuvent également changer d’équipe à l’intérieur de la péninsule. C’est le cas du Français Nestor Combin , arrivé à la Juventus en 1964 et que l’on verra ensuite à Varèse, au Torino et à l’AC Milan. Mais plus aucune recrue ne peut désormais venir de l’étranger. L’Inter Milan doit notamment renoncer aux contacts avancés qu’il avait pris avec l’Allemand Franz Beckenbauer et le Portugais Eusebio.
Cette mesure est-elle vraiment efficace ? On pourrait le croire car la sélection italienne remporte la Coupe d’Europe des Nations (ex-Euro) dès 1968 puis arrive en finale de la Coupe du monde 1970. Quant à l’AC Milan, il remporte une nouvelle Coupe des champions en 1969. Mais ces excellents résultats arrivent trop tôt pour être considérés comme une conséquence de la mesure.
Par la suite, l’Italie est battue en quart de finale du Championnat d’Europe 1972 puis retombe dans ses travers lors de la Coupe du monde 1974 où elle sort dès le premier tour après un parcours aussi pitoyable dans les résultats que dans l’attitude. Le Championnat d’Europe 1976 prolonge le marasme, mais l’Italie se reprend bien en 1978 avec Enzo Bearzot à sa tête et une magnifique quatrième place au Mundial argentin.
Mesure inefficace
Le championnat italien est passé à 16 clubs dès la saison 1967-68 afin de resserrer l’élite et permettre aux joueurs de disputer une compétition plus compacte. En 1978-79, après douze saisons sans le moindre renfort venu de l’étranger, l’ensemble des joueurs de la Serie A est de nationalité italienne. La presse et le public déplorent toutefois l’inefficacité de la mesure. Le spectacle devient pauvre, le public déserte les stades et les résultats des Azzurri ne sont jugés ni meilleurs, ni pires qu’avant 1966. On observe en outre une légère régression des clubs sur la scène européenne.
Plus inquiétant encore, les clubs de Serie A commencent à être étranglés financièrement. En 1978, la fédération les autorise à générer des revenus hors billetterie. Ils peuvent notamment afficher les signes distinctifs de leur équipementier sur le maillot. Le club de Vicence est le premier à tenter l’expérience afin de payer le salaire de sa vedette Paolo Rossi.
Toutefois, l’idée de la fermeture des frontières à fait long feu. Après quatorze ans de blocus, le football italien s’autorise de nouveau, en 1980, à recruter des joueurs provenant de l’étranger, en les limitant à un par club. Les premiers grands noms débarquent dans la péninsule : L’Autrichien Herbert Prohaska à l’Inter, l’Irlandais Liam Brady à la Juventus, le Brésilien Falcão à Rome, le Néerlandais Ruud Krol à Naples, l’Argentin Daniel Bertoni à la Fiorentina, le Néerlandais Michel van de Korput au Torino, démontrant que les clubs italiens disposent de ressources et d’arguments pour attirer les meilleurs joueurs.
Au début de la saison 1981-1982, la fédération autorise les clubs à afficher un sponsor maillot, ce qui remplit considérablement les caisses. De nouveaux joueurs étrangers viennent renforcer la Serie A, notamment les clubs promus : l’Autrichien Walter Schachner à Cesena, l’Écossais Joe Jordan à Milan et le Belge René Vandereycken au Genoa.
Le plus grand championnat du monde
En 1982, la FIGC autorise un deuxième étranger par équipe, ce dont profite aussitôt la Juventus qui attire le Français Michel Platini et le Polonais Zbigniew Boniek, Ce recrutement provoque le départ de Liam Brady, qui rejoint la Sampdoria, le promu, qui a également recruté l’Anglais Trevor Francis. Dix-huit nouveaux joueurs rejoignent le Calcio, notamment l’Argentin Daniel Passarella à la Fiorentina, l’Allemand Hansi Müller à l’Inter, l’Argentin Ramon Diaz à Naples, le Polonais Władysław Żmuda et le Brésilien Dirceu à Vérone, le Yougoslave Ivica Surjak et le Brésilien Edinho à Udine, le Danois Klaus Berggreen à Pise, le Péruvien Gerónimo Barbadillo à Avellino, le Néerlandais Jan Peters au Genoa, le Péruvien Julio Cesar Uribe à Cagliari… La Serie A devient un championnat très excitant, d’autant que la sélection nationale a remporté la Coupe du monde 1982.
Le plateau s’enrichit au cours de l’été 1983 : la Roma, championne d’Italie, engage le Brésilien Toninho Cerezo, alors que Zico rejoint Udine. Le Belge Ludo Coeck est recruté par l’Inter Milan, son compatriote Eric Gerets et le Britannique Luther Blissett rejoignent Milan. Le Danois Michael Laudrup signe à la Juventus qui le prête aussitôt à la Lazio. Ascoli préfère le Yougoslave Aleksandar Trifunović alors que Pise penche pour le Néerlandais Wim Kieft.
Le feuilleton du mercato (le terme est d’origine italienne) atteint son paroxysme au cours de l’été 1984. Naples arrache Diego Maradona au FC Barcelone pour un transfert dont les sommes et la passion qu’il génère dépassent tout ce qui a pu être vu auparavant. Les autres clubs ne sont pas en reste et se jettent sur les dernières superstars qui font encore défaut au championnat italien : L’Allemand Karl Heinz Rummenigge à l’Inter, les Brésilien Sócrates à la Fiorentina et Júnior au Torino, l’Allemand Hans Peter Briegel et le Danois Preben Elkjær-Larsen à Vérone, les Anglais Ray Wilkins et Mark Hateley à Milan, l’Écossais Graeme Souness à la Sampdoria, le Suédois Glenn Strömberg à l’Atalanta… Il semble ne plus manquer personne.
Si les clubs ont donné ce coup de collier au cours de l’été 1984, c’est parce que la FIGC a annoncé une nouvelle fermeture des frontières. Durant l’été 1985, seuls les promus Lecce et Bari ont le droit de se renforcer par des éléments étrangers. Durant ce même été, le Calcio voit partir les Brésiliens Falcão, Zico et Sócrates, après respectivement cinq ans, deux ans et une seule saison passés en Serie A. Les oracles y voient le début d’un déclin. À tort.
Deuxième génération
La fermeture des frontières durant deux étés (1985 et 1986) n’était qu’une mesure provisoire. En 1987, les clubs italiens sont de nouveau autorisés à faire venir des joueurs de l’étranger. Une nouvelle vague de grands joueurs débarquent dans la Botte : les Néerlandais Ruud Gullit et Marco van Basten à Milan, le Brésilien Careca au Napoli, le Gallois Ian Rush à la Juventus, l’Allemand Rudi Völler à la Roma, le Belge Enzo Scifo à l’Inter, l’Allemand Thomas Berthold à Vérone, le Suédois Glenn Hysén à la Fiorentina…
En 1988, le championnat italien repasse à 18 équipes après plus de vingt saisons à 16. Il permet en outre à ses clubs de compter un troisième étranger dans leur effectif. C’est ainsi que Frank Rijkaard rejoint ses compatriotes au Milan et que le Brésilien Alemão vient renforcer Naples. L’Inter quant à lui se germanise avec Lothar Matthäus et Andreas Brehme, alors que la Juve s’offre le premier footballeur soviétique du Calcio, Aleksandr Zavarov. D’autres noms moins connus apparaissent également cette année-là, comme le Brésilien Dunga (Pise), l’Argentin Claudio Caniggia (Vérone), le Portugais Rui Barros (Juventus), l’uruguayen Rubén Sosa (Lazio), le Belge Stéphane Demol (Bologne)… Les clubs du Calcio ne misent plus seulement sur les vedettes mais veillent également aux éléments d’avenir.
En 1989, l’Allemand Jürgen Klinsmann rejoint ses compatriotes Brehme et Matthaus à l’Inter. On voit débarquer beaucoup de sud-américains, notamment les argentins Abel Balbo et Roberto Sensini à Udine, le Brésilien João Paulo à Bari, les Uruguayens Carlos Aguilera , Ruben Paz et José Perdomo au Genoa. La mode est également aux joueurs des pays de l’Est dont le bloc commence à se fissurer : Nikolaï Iliev (Bologne) est le premier Bulgare du Calcio alors que le Soviétique Sergueï Aleinikov rejoint Zavarov à la Juve et que le Tchécoslovque Luboš Kubík signe à la Fiorentina.
Football’s coming home
En 1990, l’Italie est l’organisatrice de la Coupe du monde à l’heure où les plus grands joueurs de la planète jouent en Serie A. Le Mondiale 1990 se joue à domicile pour les joueurs les plus en vue. Chacune des deux équipes finalistes, la RFA et l’Argentine, compte cinq joueurs de Serie A sur la pelouse (1). On ne pouvait rêver meilleure célébration pour cette folle décennie du football italien.
Au lendemain du Mondiale, le mercato reprend de plus belle. Les champions du monde allemands sont très prisés : Thomas Häßler rejoint la Juventus alors que Karl Heinz Riedle signe à la Lazio. Les défenseurs brésiliens ont également la côte malgré un Mondiale raté : Júlio César est recruté par la Juventus, Aldair rejoint la Roma et le gardien Claudio Taffarel signe à Parme. Pour ce dernier, il s’agit d’un événement : jusqu’alors, les gardiens étrangers intéressaient peu les clubs italiens. On note également les arrivées du Soviétique Alexei Mikhailitchenko à la Sampdoria, du Roumain Marius Lăcătuș à la Fiorentina, du Suédois Tomas Brolin et le Belge George Grün à Parme, le Tchécoslovaque Tomáš Skuhravý au Genoa, de l’Argentin Diego Simeone à Pise…
Pendant quelques années encore, le Calcio recrutera les meilleurs joueurs du monde. En 1992, une nouvelle réglementation autorise les clubs à faire venir autant d’étrangers qu’ils le souhaitent, en sachant que seulement trois d’entre eux peuvent être présents sur la feuille de match. Silvio Berlusconi, le président de l’AC Milan, dépense alors sans compter : à son trio de Néerlandais, il ajoute le Croate Zvonimir Boban, le Monténégrin Dejan Savićević et le Français Jean-Pierre Papin, tout récent Ballon d’Or. Des voix s’élèvent alors pour contester la boulimie du club lombard, qui prive le football de grands joueurs en les laissant croupir sur le banc de touche.
La fin de l’eldorado
Soixante-treize joueurs étrangers rejoignent le Calcio cet été 1992. Toutefois, le leadership de la Serie A s’érode un peu. Les yeux se tournent vers l’Espagne qui retrouve le goût du beau jeu et attire des stars étrangères. Le football anglais, revenu dans le giron européen après cinq ans de suspension, commence également à s’intéresser aux joueurs du continent, d’autant plus que la nouvelle Premier League a considérablement rempli les caisses.
Fin 1995, l’arrêt Bosman met fin aux limitations du nombre de joueurs de l’Union Européenne sur l’ensemble du continent. Cette ouverture représente paradoxalement un coup d’arrêt pour la Serie A. L’eldorado du football italien s’est éteint à petit feu. Le Calcio reste toujours une destination qui fait rêver les footballeurs, mais il n’a plus son prestige des années 1980. Le retrouvera-t-il un jour ?
(1) Matthäus, Brehme, Klinsmann, Berthold et Völler côté Allemand, Maradona, Troglio, Sensini, Lorenzo et Dezotti côté Argentin, sachant que Caniggia était suspendu.
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