Carolina Morace : « Mes 4 buts à Wembley, c’était incroyable »

Carolina Morace : « Mes 4 buts à Wembley, c’était incroyable »

30 avril 2021 5 Par Nicolas Basse

Plus grande joueuse de l’histoire du football italien féminin avec 105 buts en 150 sélections ou encore ce triplé lors de la première Coupe du monde féminine, Carolina Morace n’a pas été une pionnière que sur le terrain. Devenue entraîneure à la fin des années 1990, elle a été la première femme à diriger des pros dans la Botte. Avant, entre autres, de prendre en main la Squadra Azzurra, le Canada ou la Lazio, qu’elle compte bien faire remonter en Serie A. Pour Serie A Mon Amour, elle est revenue sur sa carrière incroyable, l’évolution du football féminin, sa passion d’entraîner et son coming out réalisé en 2020.

Comment avez-vous commencé à jouer au football ?


Mon père était officier militaire dans la marine. J’habitais à Venise, à un endroit où il y avait un terrain de 11 vs 11 et un plus petit terrain. Je ne me souviens pas de ma première fois, j’ai toujours joué au football. Après l’école, tous les enfants qui vivaient dans le quartier allaient à ce terrain, et nous jouions trois à quatre heures par jour jusqu’à ce que ma mère nous appelle, mon frère et moi, pour faire nos devoirs.

Un jour, une équipe féminine est venue s’entraîner et mon père m’a dit « tu veux faire l’entraînement avec elles ? » J’avais 11 ans, je n’avais pas peur, je voulais jouer. Je ne savais pas que des femmes jouaient, je pensais que c’était seulement quelque chose pour les enfants et les garçons. J’étais la plus jeune, le coach est venu voir mon père et lui a dit « Elle est forte, on la veut ! » J’ai commencé de manière « illégale » à 11 ans, car la limite était de 12 ans (rires).


Vous avez fait vos débuts en Serie B à 13 ans et avec la Squadra Azzurra à 14 ans. Ressentiez-vous de la pression ?


A vrai dire, le « stress » est un mot que je ne connais pas dans mon métier. J’aimais jouer, j’étais bonne, j’étais jeune. Le premier match, ma mère me dit « Carolina fais attention, ne va pas trop au duel, les autres joueuses sont plus âgées et plus fortes, tu risques de te blesser »… mais c’est moi qui ai blessé la gardienne adverse !


Imaginiez-vous avoir une longue carrière ?


Je me souviens qu’un jour j’ai vu, dans un journal, la photo de l’équipe nationale. J’étais surprise, je ne savais pas que cela existait pour les femmes. Et je me souviens avoir dit « J’aimerais en faire partie un jour. » Pour ma première sélection, j’étais en Serie B, seulement deux ans après mes débuts. Je n’ai jamais eu peur de faire partie de cette équipe.


Avec l’Italie, vous avez gagné 3 Mundialito (coupe du monde officieuse organisée dans les années 1980) mais aucune Coupe du monde officielle. Est-ce un des rares regrets de votre carrière ?


Non, parce qu’à l’époque il y avait des équipes bien plus fortes. Les USA, la Norvège… Dur d’avoir des regrets.


Vous avez remporté 3 Mundialito, inscrit un quadruplé à Wembley, gagné 12 championnats d’Italie… Avez-vous un moment favori dans votre incroyable carrière ?


Marquer 4 buts à Wembley est peut-être la chose la plus importante que j’ai réalisée. Avant le match, l’entraîneur est venu me voir et m’a dit « Si tu marques ici, tu seras une vraie joueuse de football. » Après un but, j’étais heureuse. Après le deuxième, le troisième et le quatrième, tout le stade (30 000 personnes) m’a applaudie. J’ai compris que c’était quelque chose d’incroyable.


Time a écrit que vous étiez au football féminin ce que Michael Jordan était au basket-ball, vous avez été la première italienne à entrer dans le hall of fame du football transalpin, élue deuxième meilleure joueuse du 20e siècle… Qui a particulièrement compté dans ce parcours hors-normes ?


Sergio Guenza, coach de l’Italie à l’époque du quadruplé à Wembley et lors de la première Coupe du monde féminine, a été primordial. Mais la personne la plus importante rencontrée dans ma carrière a été le préparateur physique Luigi Perrone. Je ne suis pas née avec des prédispositions physiques particulières, mais avec des facilités techniques. Quand je l’ai rencontré, il a commencé à m’entraîner d’une manière différente, et je me suis améliorée en tant que joueuse aussi grâce à mes progrès physiques. Un joueur peut s’améliorer sur tous les aspects. Technique, mental, physique, et avoir un bon physique est la base pour améliorer le reste.


Vous avez été joueuse, entraîneure et commentatrice. Que préférez-vous ?


Entraîneure, c’est certain. Le plus naturel, le plus plaisant. Les relations, les connexions que l’on crée avec les joueurs et le collectif, c’est le plus complet. En Italie c’est plus facile pour moi, parce que les gens connaissent ma personnalité. Je pense que beaucoup de gens croient que derrière une femme forte, qui gagne, il y a un caractère très sévère ou dur. Ce n’est pas forcément vrai. Mener une équipe, c’est créer des liens, emmener un groupe vers des moments d’épanouissement, de joie, ce n’est pas stressant si on le prend comme ça.


Vous avez été la première à inscrire un triplé en Coupe du monde (contre le Nigéria), lors de la première édition en 1991. Vous avez déclaré qu’à l’époque, les joueuses n’avaient pas vraiment pris conscience de l’ampleur de l’événement.


C’est vrai. C’était la première, mais personne ne réalisait que c’était un pas important dans l’histoire du football féminin. On savait que c’était important que des grands pays pour le football féminin comme le Danemark, la Norvège ou les USA participent tout comme des sélections bien moins avancées, mais c’est tout.


150 matches avec l’Italie pour 105 buts. Vous êtes la deuxième meilleure buteuse du pays (derrière Patrizia Panico, 204 matches et 110 buts). Vos stats sont-elles dépassables ?


J’ai arrêté à 35 ans et Patrizia Panico à 40. Ca serait intéressant de voir le ratio buts/matches. En fait, je m’en fiche. J’ai été là pour marquer, j’ai fait mon travail, je ne me pose pas cette question.

https://twitter.com/UEFAWomensEURO/status/1357701861072138244


12 fois meilleure buteuse du championnat, 550 buts en Italie, 12 titres de championne avec 8 équipes différentes, 2 Coupes d’Italie, des saisons à plus de 40 buts… Qu’est-ce qui vous rend la plus fière ?


Ce qui me rend fière, c’est d’avoir été un modèle et d’avoir inspiré des filles pour jouer au football. En février j’ai pris en main la Lazio, et les joueuses ont réagi très, très positivement. J’ai augmenté le nombre de séances d’entraînement ? Elles ont bien accueilli ça. J’ai changé le type d’entraînements avec notamment plus d’intensité ? Les joueuses m’ont suivie. Avoir obtenu ce rôle de modèle me rend fière mais aussi me sert désormais dans ma carrière d’entraîneure, où je suis respectée.


Après votre carrière de joueuse, vous devenez donc entraîneure. D’abord avec la Lazio, puis à l’US Viterbese en Serie C en 1999. Vous devenez la première femme en Italie à entraîner une équipe masculine professionnelle. Que retenez-vous de cette expérience ?


Que je peux aussi entraîner des hommes ! Le football est exactement le même. Il faut juste s’adapter à la qualité des joueurs/joueuses que l’on a. Physiquement, ce n’est pas pareil, certes. Mais cet écart doit être réduit par nous, les coaches. Nous ne devons pas juste faire un peu moins que les hommes. Parfois il faut travailler plus. Notamment le physique. Chez les femmes, si on ne fait pas de renforcement musculaire très fréquemment, elles perdent très rapidement leur force. Ce qui n’arrive pas chez les hommes, qui ont plus de testostérone et peuvent se permettre de couper un peu leur préparation physique. Il y a quelques différences, mais j’ai gardé le contact avec de nombreux joueurs et c’était une très bonne expérience.

Mais vous avez Corinne Diacre qui a fait ça en deuxième division aussi, non ? Bien après moi c’est vrai, elle est plus jeune !


Ensuite vous avez entraîné l’Italie mais aussi le Canada de 2009 à 2011 avec qui vous avez gagné la CONCACAF en 2010 (Gold cup). Comment s’est passée cette première expérience à l’étranger et hors d’Europe ?


C’était magnifique. Leur style de jeu était complètement différent de ce que j’avais connu en Europe et en Italie. Les Italien(ne)s et les Européen(ne)s étaient déjà bien plus familiarisé(e)s avec le jeu. Les Canadiennes étaient bien meilleures physiquement. J’ai dû m’adapter et travailler plus sur d’autres aspects. Nous avons tout changé. Les joueuses étaient en surpoids, à un niveau amateur. Avec mon équipe, nous avons proposé un programme qu’elles ont très bien accueilli, car cela allait leur faire passer un cap. Les joueuses ont vite progressé, pour gagner la CONCACAF rapidement.


En 2016-2017, vous avez également été à la tête de l’équipe nationale de Trinidad et Tobago. Pourquoi avoir choisi cette destination ?


Après le Canada, je suis partie en Australie où j’ai dirigé un centre de formation pour filles et garçons et j’ai été directrice technique d’une équipe masculine. J’ai reçu la proposition de Trinidad et Tobago, et j’ai accepté parce que j’avais la possibilité d’entraîner l’équipe tous les jours. J’aurais refusé si cela n’avait pas été le cas. Le centre d’entraînement était incroyable. Les joueuses ont été très accueillantes, l’expérience très bonne, mais la fédération ne m’a plus payée après six mois. L’histoire s’est arrêtée là. Je garde de très bons souvenirs du pays et des joueuses, car leur implication et leur loyauté étaient énormes. Même si cela a été court, cette expérience reste très enrichissante pour moi.


Formatrice et ambassadrice pour l’UEFA et la FIFA, à la tête de centres de formation, vous aimez particulièrement entraîner. Est-ce une vocation ?


Je pense que les matches de football féminin doivent être appréciés. Je ne vois pas souvent de très beaux matches. Et ce n’est pas à cause des joueuses, mais des entraîneur(e)s. Je suis fière que mes équipes, en général, produisent un bon football. Et aussi de passer cette idée aux plus jeunes. Je suis désolée de le dire, mais les USA qui ont gagné la Coupe du monde 2019, elles n’ont pas offert un très beau football. Elles pourraient jouer tellement mieux !

Dans le football masculin, on voit de temps en temps des innovations. Dans le football féminin moins, on prône ce qu’on connait déjà. Et c’est aussi à nous de proposer quelque chose de nouveau, d’améliorer le football.


Avez-vous des modèles ?


Il n’y a pas un entraîneur qui m’inspire particulièrement. Mais Guardiola, Klopp, Flick, De Zerbi, Tuchel… présentent des idées intéressantes. Je cherche toujours à apprendre de nouvelles choses.


Cela fait plus de 40 ans que vous évoluez dans le football féminin. Vous l’avez vu énormément changer. Quelles sont les améliorations à espérer ?


Le football féminin ne cesse de progresser sur tous les plans. Cela se voit à chaque nouvelle Coupe du monde, notamment, qui propose un meilleur niveau et attire toujours plus de public.

En termes de jeu, il y a une chose qui manque encore. Quand je regarde les hommes, je vois les phases plus intenses et les décélérations. Chez les femmes, très souvent le match reste sur le même rythme. J’aimerais voir plus de changements de rythme et plus d’ambition tactique. Et c’est aux coaches d’amener ça.


L’Italie a été à son avantage à la Coupe du monde 2019. Comment voyez-vous le futur pour le foot italien féminin ?


À partir de la saison prochaine, la Serie A féminine sera professionnelle. Ca va changer beaucoup de choses. Tout comme de voir que de nombreuses top clubs comme la Lazio, la Juve, la Fiorentina, Milan ou encore la Roma ont leur équipe féminine.

Nous devons surtout augmenter le nombre de joueuses. Actuellement, leur nombre reste peu élevé en Italie et c’est un levier à utiliser pour amener plus de talents au plus haut niveau.


En octobre 2020 vous avez fait votre coming out public, annonçant que vous viviez avec une femme, avec qui vous êtes mariée. Etait-ce pour aider les joueuses et les joueurs de football à assumer et parler de leur sexualité sans peur ?


Ce n’est pas seulement à propos des hommes et des femmes qui jouent au football. Tout le monde se cache, d’une certaine façon, dans de nombreux pays, dont l’Italie. Sportifs, journalistes, politiques, acteurs, actrices, personnes célèbres ou non… Je n’ai pas écrit ce livre pour une seule catégorie de gens. Je l’ai écrit parce que ma relation est une relation de Serie A, pas une relation de Serie B que je devrais cacher. Je suis quelqu’un d’heureux. C’est vraiment très difficile de trouver une personne à aimer et qui nous aime dans notre vie. Je l’ai trouvée. Je n’ai pas honte de ça, j’en suis fière. Je veux montrer que je suis heureuse en assumant tout cela. Si cela peut aider quelqu’un en 2021 à être plus lui-même ou elle-même, j’ai fait un bon travail.


Après 22 ans, vous êtes revenue entraîner la Lazio. La boucle est bouclée ?


Non. J’entraîne. On ne connaît jamais le futur des coaches. Peut-être qu’un jour je serai au PSG ou à Lyon (rires) ! Mais je suis très heureuse d’être revenue à la maison. D’autant plus que la Lazio a été une équipe très importante pour le football féminin en Italie. J’espère aider le club à retrouver sa position forte.


Vous êtes arrivée en février. L’équipe était cinquième de Serie B. Désormais elle est deuxième, à quatre points du premier, Pomigliano, et devançant de trois points le troisième, l’USD San Zaccaria. Quel est l’objectif ?


Bien sûr, gagner le championnat reste un objectif, mais nous n’avons pas le sort entre nos mains. Deux équipes montent en Serie A, alors évidemment nous voulons déjà valider notre promotion dans l’élite. Il nous reste quatre finales.


Depuis votre arrivée, vous n’avez perdu aucune rencontre, la Lazio a marqué 11 buts sur les trois derniers matches…


… et la défense n’a pas encaissé le moindre but depuis quatre rencontres ! Désolée, mais je le dis pour mes défenseuses, qui sont bonnes.


En effet. Pensez-vous que le spectacle peut amener les bons résultats ?


Je crois que le « beautiful game » peut aider à engranger les victoires. Pour l’instant, les faits me donnent raison. Et de toute façon je n’aime pas les longs ballons. Je ne critique pas les gens qui pratiquent ce football, mais ce n’est pas ce que je veux voir.

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Carolina Morace en bref

  • Née en 1964
  • 150 sélections pour 105 buts avec l’Italie
  • Premier match en Serie B à 13 ans
  • Premier match avec l’Italie à 14 ans
  • 3 fois vainqueure du Mundialito
  • Participation à la première Coupe du monde féminine
  • Première joueuse à inscrire un triplé en Coupe du monde
  • 12 titres de championne d’Italie avec 8 équipes différentes
  • 12 fois meilleure buteuse du championnat et un total de 550 buts en Italie
  • Première femme à entraîner une équipe pro masculine en Italie
  • Sélectionneuse de l’Italie, du Canada (Gold cup 2010) et de Trinidad et Tobago


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