Les stats ont-elles oublié les défenseurs ?
Les mesures de performance des joueurs de foot semblent faire la part belle à l’offensive. Tirer, marquer ou non, le travail de l’attaquant est plus facilement quantifiable que celui d’un défenseur. Pour l’instant.
Même pour les observateurs non avertis, l’importance prise par l’utilisation des statistiques afin d’analyser un match de foot est flagrante. « Avant », les rares chiffres évoqués par les médias, c’était la possession, les tirs tentés et cadrés, les corners et basta. L’objectif initial ? « Garder un aspect simple sans donner un côté scientifique », explique Philippe Doucet, papa de la « Palette à Doudouce » sur Canal + et première personnalité médiatique à mettre en relief des données à la télé française.
Aux tirs tentés, cadrés, buts et passes décisives, se sont ajoutés depuis le début des années 2010 le nombre de passes, les passes clés, les dribbles réussis (ou ratés), les fautes subies, les hors-jeu, les passes réussies, les passes vers l’avant, les expected goals, les expected assists… Le nombre de datas a explosé.
Prime à l’attaque
Cette croissance permet des combinaisons désormais presque poétiques : contributions aux tirs (tirs + passes clés), contributions aux buts (tirs + passes décisives), contribution aux expected goals ( expected goals + expected assists). La quantité des indicateurs a augmenté, mais la grande majorité reste vouée à retranscrire la performance des joueurs offensifs.
La faute à qui ? Pour Jean-Baptiste Caillet, data-journaliste chez Opta : « Je ne pense pas que ça soit un problème des médias, c’est comme ça que le football fonctionne depuis toujours. Les buts, les tirs, les passes décisives sont des données qu’on peut collecter facilement et il est plus aisé de les utiliser pour valoriser les performances d’un attaquant. »
Là où un buteur brille avec tant de buts par saison, il n’est pas simple de souligner la prestation d’un défenseur avec un chiffre spécifique. Pour Julien Assunção de Coparena, cela s’explique notamment par le travail souvent passif des arrières : « La plupart des stats mesurées sont celles ‘avec ballon' ». Jean-Baptiste Caillet renchérit : « Elles mettent juste plus facilement en avant ce qui est ‘produit’ dans le jeu plutôt que ce qui a été ’empêché’. À l’exception du hors-jeu, la qualité de placement est compliquée à quantifier d’un point de vue statistique. Cela est mieux mis en avant par des palettes tactiques. »
Travail d’équipe
Autre problème : ces données n’ont pas forcément de sens prises une par une, comme l’explique Jean-Baptiste Caillet : « Il arrive souvent que les défenseurs qui figurent bien dans certaines catégories ne soient pas pour autant des joueurs qui font l’unanimité. La saison dernière, Bruno Ecuele Manga ressortait nettement sur les duels aériens et les dégagements, mais reste qu’il termine pire défense de L1 avec Dijon. Autre exemple, Laurent Abergel (qui joue milieu défensif certes) était le meilleur tacleur de Ligue 1 2020/21 (en valeur brute), mais aussi un des joueurs qui s’est fait le plus dribbler. »
Difficile à imager avec des datas simples, la défense a ceci de particulier que, encore plus que l’attaque, elle se pratique en équipe, et ressortir la prestation d’un joueur parmi quatre, voire six, est compliqué. Alors, le grand public n’a-t-il aucun outil sur lequel s’appuyer ? Julien Assunção donne quelques pistes : « La principale difficulté c’est de dissocier la performance d’un défenseur de celle de son équipe. Dans ce qui est accessible, j’utilise généralement le % de dribbleurs taclés, le nombre de dribbles subis, les interceptions, les pressions, les tacles et le % de duels aériens gagnés ».
Si les données basiques n’aident pas beaucoup pour révéler les points forts des défenseurs, elles peuvent souligner les écarts. Jean-Baptiste Caillet : « Si un joueur commet une erreur grossière, on peut lui attribuer une ‘erreur amenant à un but/tir’. Ainsi, on peut identifier les défenseurs prompts à faire des boulettes. »
Innovation
Avec la constante évolution de l’analyse des matches et des datas, la donne pourrait cependant changer. L’implication des défenseurs dans la construction des actions commence à être maîtrisée. Marceau Goguer, analyste chez StatsBomb, détaille : « On vient de sortir une nouvelle métrique qui s’appelle OBV (On-Ball Value, voir tableau de l’AC Milan ci-dessous) qui permet de mesurer l’impact d’un joueur à chaque événement. C’est-à-dire de savoir après chaque action (passes, ballon porté, duel, tirs,…) si l’équipe a plus de chance de marquer qu’avant (c’est une probabilité). Cela permet de voir l’impact des défenseurs, car si tu filtres par exemple sur les passes et les ballons portés, ça te permet de voir si tes défenseurs sont un plus dans la construction de tes actions. »
Dans le même ordre d’idée, c’est-à-dire toujours pour analyser l’impact avec ballon, Opta propose la « possession value added« , valeur ajoutée lors de la possession. JB Caillet : « Cela détermine la qualité d’une relance en fonction des adversaires éliminés à la faveur d’une passe ou la distance parcourue balle au pied. Ce ne sont pas des outils propres aux défenseurs, mais cela permet de niveler les performances de chaque poste » (voir image ci-dessous).
Autre point en vogue dans le monde des datas, qui cette fois met à l’honneur le jeu sans ballon : le concept de « pressures », permettant de suivre la pression exercée sur un adversaire qui reçoit, porte ou relâche un ballon. Tendance également liée : le tracking favorise l’analyse de la position des défenseurs au moment des frappes/passes. Cela aide à comprendre si un joueur a plus tendance qu’un autre à empêcher un tir/une passe vers l’avant.
Nécessaire ?
Bien que plusieurs éléments innovants émergent, Julien Assunção tempère : « Pour les chiffres qui existent, la corrélation avec la victoire est moins évidente. La complexité de ces nouvelles stats fait que ça ne touchera pas le grand public tout de suite. »
La tâche du défenseur, moins mise en avant, peut paraître ingrate. Mais la difficulté pour la quantifier démontre qu’elle est plus variée. Participation au jeu offensif, pression, fermeture des espaces, interceptions, tacles, duels gagnés, anticipation, capacité à empêcher l’adversaire d’entrer dans sa zone, vice… Il faudrait combiner plus d’une dizaine de données pour illustrer pleinement le match d’un arrière.
Si les puristes seront toujours en recherche de nouveaux indicateurs pour lire le niveau des défenseurs, l’amateur en a-t-il besoin ? Chiellini a fait un énorme Euro, pas besoin de stats grand public ou experts pour le prouver. Nesta était le roi de l’anticipation, pas besoin de stats pour le prouver. Andrea Raggi était le meilleur défenseur durant son passage en Ligue 1. Bon, il faudra peut-être des stats pour le prouver.
[…] statistiques, Zaccagni n’est pas le genre de joueur à finir une saison à 15 buts ou 15 passes […]
[…] Peut-on utiliser les stats pour les défenseurs ? […]