Le football à l’épreuve de la philosophie
Passion et raison sont-elles compatibles ? Le foot suscite-t-il des questions d’une profondeur terrifiante ? Bien sûr que oui.
Pour les supporters italiens, vivre la Coupe du Monde alors que leur équipe nationale ne participe pas à la compétition relève du défi. Entre les moqueries répétées, les questions existentielles liées à l’avenir de leur sélection et une lourde peine à s’intéresser au plus grand événement de leur sport favori, ce qui était du domaine de la passion s’est transformé en royaume du doute et de la morosité.
Plusieurs attitudes sont adoptables : le boycott pur et simple du mondial (« quel mondial ? »), le suivi passif et fainéant, histoire de dire qu’on n’a quand même pas complètement lâché et en donnant rendez-vous à l’Euro 2020 (« si on se qualifie »), ou encore l’engouement quoiqu’il arrive (« j’ai une grand-mère mexicaine » ou « je suis pour le beau jeu » et dernière solution : « je veux voir une petite équipe aller au bout »).
Une gamme de fines émotions
Derrière ces multiples postures, un rapport différent au supporteurisme et au sport. Frustration, patience, ferveur, joie, nostalgie, énervement… Aucun d’entre nous n’a le même niveau de sensibilité quant il s’agit de football. Parce que là où les observateurs extérieurs, et souvent condescendants, voient une adoration idiote et uniforme, toute une gamme de fines émotions se joue et évolue en permanence.
Le seul point commun qui réunit la plupart des fans de football, c’est que cet amour renvoie à quelque chose de l’enfance. Mais dès la première perception de ce sport, dès sa rencontre initiale, les trajectoires diffèrent. Qui aura un premier souvenir émerveillé ou rempli de déception, voire de honte, n’aura pas le même rapport à ce sport.
Liens plus ou moins abstraits
Football serait donc affaire de philosophie ? Parfois sans le savoir, le supporter est confronté, dans sa passion, à des grandes thématiques de cette discipline. C’est d’ailleurs le thème de l’ouvrage de Bernard Chambaz, Petite philosophie du ballon rond. L’écrivain y revient sur ses premiers émois footballistiques et les différentes notions de philosophie qui émaillent la vie de l’amoureux du football.
Entre raisonnements sérieux sur la question « Pourquoi court-on après un ballon ? » et des liens parfois plus légers ou poétiques entre Montaigne et émotion vécue au stade, les notions de « morale », de « faute », de « passion », de « désir », d' »universalité » ou encore d' »espoir » se succèdent. Si certaines questions paraissent abstraites, d’autres viennent plus souvent à l’esprit du supporter : « Pourquoi est-ce que je supporte mon équipe ? », « Jusqu’où doit aller cet engagement ? », « Pour quelles raisons le football me procure-t-il autant d’émotions ? ».
Football et religion, aussi ?
Aucune raison, donc, de ne pas voir une association possible entre ces deux disciplines très techniques que sont le ballon rond et la philosophie. D’ailleurs, le football peut être analysé à travers tout un tas de grilles de lecture : Psychologie, Sociologie, Histoire… Et pour ceux qui aiment à s’en moquer gentiment, comparant ce sport dit populaire à l’opium du peuple, poussons jusqu’à un rapprochement avec le domaine de la théologie.
Le football est un sport où l’adoration et les idoles sont omniprésentes. Des légendes se créent, des Dieux naissent. Alors que ceux des grandes religions ne faiblissent jamais et sont promis au règne éternel, les nôtres vieillissent, et finissent par mourir. Voilà, pour les supporters, une façon bien moins optimiste et joyeuse d’envisager la vie et la mort que les textes sacrés. Et en même temps, bien plus intense.
Terminons par une note d’espoir, que personne de sérieux et au fait du jour ne pourra contester. En à peine plus d’un siècle d’existence, le football aura vu s’accomplir bien plus de miracles vérifiés que toutes les religions réunies depuis des millénaires. Mais au fait, qu’est-ce qu’un miracle en football ? Vous avez 4 heures.