Comment Napoléon a permis à l’Italie de battre la France

Comment Napoléon a permis à l’Italie de battre la France

28 novembre 2017 1 Par Nicolas Basse

De quelle manière Napoléon a-t-il contribué à la première victoire de l’Italie sur la France, lors d’une rencontre amicale en 1910 ? Retour sur un joli pied-de-nez de l’histoire.

L’année 1792 vient de commencer. Depuis plusieurs mois, les puissances continentales européennes ne voient pas d’un bon œil la Révolution Française qui ne cesse de prendre de l’ampleur. Ses valeurs et ses ambitions internationalistes inquiètent. Comment ça ? On voudrait en finir avec la monarchie ? Avec les privilèges des nobles et de l’église ? Le pouvoir pourrait se transmettre autrement que par le sang et ne pas être détenu par un seul ? Scandaleux ! Par précaution, des accords défensifs sont signés, notamment entre la Prusse et l’Autriche.

Quelques semaines plus tard la France, avec encore à sa tête un Louis XVI affaibli, déclare la guerre à l’Autriche. Par l’engrenage des alliances, le conflit s’étend à toute l’Europe. Pendant trois ans, les batailles éclatent surtout au nord et à l’est de la France. Valmy, Jemappes, Namur, Mayence… Autant dire que ça dérouille surtout du coté de la Belgique et de la Prusse. Le sud ne présente qu’un intérêt relatif aux ambitions françaises et seules quelques batailles de secondes zones s’y déroulent, dont celle de Dego où un certain Bonaparte, officier et chef d’artillerie, contribue à la victoire française.

Campagne d’Italie

Au début de l’année 1796, l’Armée Française d’Italie est envoyée au sud des Alpes afin d’occuper les Autrichiens dans le Piémont. Grâce à un mariage heureux, Bonaparte en a été promu général en chef. Meneur de génie et fin tacticien, il transforme un simple mouvement stratégique de la France en campagne militaire étudiée pendant des décennies et ouvre les ambitions françaises au nord de l’Italie. Toujours en sous-nombre, il renverse près d’une dizaine d’armées, autrichiennes et du Royaume de Sardaigne, et marche sur le Piémont, la Lombardie et la Vénétie avant d’arriver aux portes de l’Autriche.

Dans le nord de la Botte, les Italiens voient de manière plutôt positive la Révolution Française et ces victoires, même si la violence des Jacobins effraie. Un siècle plus tard, un opéra d’Offenbach mettra ces vers, sûrement exagérés, certes, dans la bouche d’un cœur de Milanaises :

Petit Français, Brave Français,
Viens délivrer notre patrie !
Tu seras bien reçu tu sais,
Par toutes les femmes de l’Italie

Ambitions milanaises

Première version du projet du Foro Bonaparte, abandonné en 1805. Source : www.milanocastello.it

17 mars 1805. Déjà Empereur des Français, Napoléon est sacré Roi d’Italie. En plus d’y avoir étendu son territoire, la France exerce dans le nord de l’Italie une influence très forte depuis ses victoires en 1796 et 1797, année durant laquelle Bonaparte désigne Milan comme capitale de la République cisalpine (avant de la nommer capitale de la République italienne puis du Royaume d’Italie). Attaché à cette ville, il y apporte une impulsion positive et lui confère une importance économique et politique de premier ordre, notamment grâce à sa position géographique centrale. Cité médiévale à la fin du 18ème siècle, Bonaparte compte bien moderniser Milan, et pas avec le dos de la cuillère.

Il faut dire que dès 1800, il affiche de grandes ambitions pour la cité et commande des travaux d’urbanisme majeurs. Ses plans se tournent notamment autour du Chateau Sforza, datant du 14e siècle et ayant appartenu à une famille très influente de la région. Bonaparte veut détruire les fortifications ajoutées par les Espagnols au 16ème siècle et construire une énorme place destinée à célébrer fêtes et victoires. Et oui, Napoléon adore ça, les grandes places et esplanades à figure géométrique, comme en témoigne la place Saint-Marc de Venise modifiée selon les goûts de l’Empereur. Pour mener à bien la transformation de Milan, les clefs sont d’abord remises entre les mains d’Antolini en 1801.

Un air d’antiquité

Finalement, devant les coûts monstrueux et une situation politique peu stable, un plan moins pharaonique échoit à l’architecte Canonica en 1805. Dans ce projet, en plus de quelques modifications sur le Château des Sforza et l’aménagement d’un grand parc, figure la construction d’une arène. Inspirée par le Cirque Maximus de Rome et de style néo-classique, elle prend des airs de temple grec avec ses colonnes rectangulaires et sa façade à pilastres. Rien de très étonnant quand on sait à quel point la Grèce Antique fascine Napoléon.

Après deux ans de travaux, l’arène est inaugurée en présence de Napoléon lui-même avec une reproduction de … bataille navale ! Un spectacle rendu possible par un quartier fourmillant de canaux et une structure ingénieuse permettant de contenir l’eau à l’intérieur du bâtiment. La 19ème siècle s’écoulant, Napoléon part, l’édifice, nommé Arena Civica, reste, accueillant jusqu’à 25 000 spectateurs autour d’événements sportifs et des représentations grandioses. Courses de char, premières épreuves de cyclisme ou encore le Wild West Show du légendaire Buffalo Bill s’y déroulent.

Italie, première !

Avril 1910. Une équipe nationale d’Italie va enfin voir le jour et disputer son premier match officiel dans quelques semaines autour d’un amical contre le voisin français. Seul problème : une querelle oppose la fédération au club de Pro Vercelli, double champion en titre (après des années de domination du Genoa et du Milan). Du coup, l’Italie doit écarter les joueurs du club piémontais pour cette première rencontre, et donc se priver de ses meilleurs éléments.

15 mai 1910. Les deux équipes rentrent dans l’Arena Civica de Milan, choisie pour accueillir cette rencontre historique. Les Français, humiliés un mois plus tôt 10-1 par l’Angleterre sur la pelouse de Goldstone Ground, à Brighton, découvrent un stade en terre battue, tandis que les Italiens savourent, incrédules, la présence de 4000 à 8000 spectateurs selon les sources. Au sifflet, l’Anglais Henry Goodley donne le coup d’envoi.

Euphorie

Si la France n’a connu que 3 victoires en 16 rencontres officielles et subi de grandes humiliations, ses 6 ans d’existence la placent tout de même en favorite face à des Italiens qui arborent pour la première fois le maillot national. Enfin, maillot… Plutôt un polo blanc surmonté d’un col et doté de manches, comme le veut la bonne société de l’époque. De Simoni, Varisco, Cali, Treré, Fossati, Capello, De Bernardi, Rizzi, Cevenini, Lana et Boiocchi, pour la plupart des Milanais, inaugurent la Nazionale.

Les 16 heures de train de nuit la veille du match n’auront sûrement pas aidé l’Équipe de France, mais qu’importe

Contre toute attente, l’Italie prend vite le large et, dans une partie dont le déroulé reste visiblement un mystère, s’impose 6-2, grâce à 3 buts de Lana et des réalisations de Fossati, Rizzi et De Bernardi. Les 16 heures de train de nuit la veille du match n’auront sûrement pas aidé l’Équipe de France, mais qu’importe. Les joueurs italiens et le stade sont gagnés par l’euphorie devant ce succès inattendu et la légende veut que le public, tellement ravi, récompensa les joueurs en leur lançant des paquets de cigarettes sur le terrain. Tout ça dans une arène voulue par Napoléon pour célébrer sa puissance sur le sol italien. Ironique. Onze jours après, l’Italie se prendra un cinglant 6-1 en Hongrie, mais c’est une autre histoire.

@nicolas_basse