Le « biscotto », traumatisme italien
Non, les Italiens n’ont pas peur des biscuits. Mais bien des résultats arrangés à leur détriment, qui sont une hantise du passé et une crainte éternelle.
Mardi 1er décembre 2020, 22h48. L’Inter s’impose 3-2 sur le terrain de Gladbach lors de la cinquième journée de groupe et revient dans la course à la qualification aux huitièmes de finale de la Ligue des champions.
Seul problème, qui agite très vite la presse transalpine et la plupart des fans du club : l’Inter, dernier de la poule, doit gagner à domicile contre le Shakhtar tout en espérant que la rencontre entre le Real Madrid et le Borussia Mönchengladbach ne finisse pas en « biscotto ». Un nul entre les Allemands et les Espagnols, alors que l’Inter l’emporte, qualifierait les deux équipes et reverserait les Italiens en Europa League.
Le biscotto ? Un mot évoquant certes un biscuit, mais surtout un concept capable de donner des sueurs froides à tous les Italiens suivant, même de loin, le football.
L’Euro 2004, le drame
Si le terme biscotto est d’abord utilisé dans le monde hippique pour évoquer des biscuits « vitaminés » donnés aux chevaux pour des performances améliorées, il est vite transposé au football.
L’exemple parfait du biscotto, arrangement entre deux équipes pour un résultat convenant aux deux parties et, indirectement, nuisant à une autre entité, a lieu lors de la phase de groupes de l’Euro 2004.
Pour la dernière journée du groupe C, l’Italie affronte la Bulgarie. Une victoire qualifierait les hommes de Trapattoni à une exception près : si le Danemark et la Suède terminaient leur rencontre sur un nul avec beaucoup de buts. La presse l’annonce, le redoute, tandis que plusieurs joueurs affirment que si cela se produit il faudra une enquête de l’UEFA.
Résultat ? 2-2 entre les deux nations nordiques qui se qualifient à la différence de buts et éliminent une Italie qui criera autant au scandale qu’elle remettra en cause ses deux nuls poussifs face à à la Suède et au Danemark en début de compétition.
2012, la peur
Huit ans plus tard, un nouveau biscotto majeur est redouté pour la Nazionale à l’Euro. Obligée de battre l’Irlande lors de la dernière journée du groupe, l’équipe de Prandelli doit espérer que l’Espagne et la Croatie ne terminent pas leur match sur un nul très fourni en buts.
Pendant plusieurs jours, la presse évoque quotidiennement et abondamment le sujet, remue les souvenirs douloureux de 2004… avant que l’Espagne ne dispose de la Croatie 1-0. Plus de peur que de mal, mais le traumatisme est bien présent.
Complot
Le biscotto a ceci de vicieux qu’il ne peut être que très rarement prouvé et reste la grande majorité du temps une suspicion. Voire du complotisme ?
Dans le pays où les intrigues politiques courent depuis la Rome antique et où les procès rocambolesques impliquant Berlusconi et de nombreuses personnalités s’enchaînent depuis des décennies, les Italiens ont tendance à douter et à ne pas se fier aux apparences. Au point que la « detrologia », terme souvent utilisé par la presse pour nommer « l’étude de ce qui se cache derrière », littéralement, est une discipline à laquelle beaucoup de Transalpins aiment s’adonner.
Éternel recommencement
Que le Real Madrid et Gladbach fassent match nul et se qualifient au détriment de l’Inter ou non, peu importe. D’ailleurs, rien ne dit que les hommes de Conte battront la solide équipe ukrainienne de Donetsk.
Mais l’évocation de cette simple hypothèse aura suffi à faire ressurgir de profondes blessures et peurs. Et occultera en partie, cette fois, le fait que l’Inter aura très mal débuté sa campagne européenne avec seulement une victoire en cinq rencontres dans un groupe abordable, et sera le seul fautif s’il ne parvient pas à atteindre les huitièmes de finale.
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