Éloge de la souffrance

Éloge de la souffrance

6 avril 2016 1 Par Nicolas Basse

Il n’y a que dans les instants de souffrance collective que se reconnaissent les grands joueurs et les équipes ayant une âme. C’est là que réside la vraie beauté du sport. Des moments que l’Inter et la Juventus connaissent bien.

L’Atletico Madrid vient de perdre 2-1 son match aller contre le Barça en quarts de finale de la Ligue des Champions, après avoir joué plus de 60 minutes à 10 contre 11. Pourtant, les colchoneros menaient 1-0 et ont tout tenté pour résister aux vagues blaugranas. Gagner du temps, balancer des ballons devant, défendre à dix, se sacrifier sur des frappes à bout portant, oublier toute velléité offensive, même les contres… Malgré une abnégation incroyable, les madrilènes n’ont pas pu échapper aux deux banderilles de Luis Suarez et se sont inclinés.

Évidemment, les millions de supporters du Barça à travers le monde, brandissant leurs produits dérivés à l’effigie de ce qui ressemble plus à une entreprise internationale qu’à un club de foot, se sont réjouis de cette courte victoire et n’ont pas manqué de siffler les joueurs de l’Atletico durant le match, à la moindre occasion. Habitués à la facilité, ils sont sortis satisfaits de cette énième victoire, n’ayant cure des perdants.

Espoir secret

De l’autre coté, les fans de l’Atletico. Fiers de la prestation de leurs joueurs, de leur match de guerriers face à l’armada offensive adverse, pas encore remis de l’expulsion de Fernando Torres, leur chouchou revenu d’Angleterre, et affichant une confiance relative pour le match retour – « 2-1 à l’extérieur ce n’est pas perdu » – mais sachant, au fond, que cela s’annonce très compliqué. Des romantiques qui n’osent pas avouer aux autres, ni à eux-mêmes, que leur espoir s’est envolé et que « c’est comme ça, on aura peut-être une chance l’année prochaine ».

Avec ces madrilènes, ont souffert tous les amoureux de football qui ne supportent pas ces équipes au-dessus du lot, insolentes et fades, pour qui la concurrence ne se résume qu’à un ou deux clubs en Europe : le Real Madrid, Barcelone et le Bayern Munich. Sans le savoir, les fans de l’Atletico ont été soutenus et chéris par ceux qui ont connu ce sentiment étrange : affronter un club supérieur tout en croyant secrètement en ses chances, en ses joueurs qui sortiront forcément un match incroyable et son entraîneur qui concoctera une tactique invraisemblablement juste. Tout en sachant pertinemment que cela passera par 90 minutes insupportables, à s’arracher les cheveux et avec un rythme cardiaque infernal. Bref, où la pression sera à son comble.

Si cette souffrance, celle de tenir le coup contre un adversaire plus fort, souvent malgré une possession quasiment nulle et de minces espoirs placés en de rares contre-attaques, est insoutenable, elle est aussi l’âme de certains clubs mythiques et en a écrit certaines des plus belles pages. L’Atletico a ces dernières années réalisé de grands parcours Européens grâce à son courage et à sa forcé mentale, mais ce n’est pas le seul club dans ce cas.

L’apanage des champions

Deux clubs Italiens, pourtant rivaux, ont parfaitement usé de leur âme et de leur orgueil dans les dernières années en Europe. D’abord, l’Inter Milan de Mourinho, vainqueur de la Ligue des Champions 2010, au prix d’un parcours incroyable. Que ce soit en groupe ou en phase éliminatoire, aucun match facile. Notamment contre Chelsea mais surtout face à Barcelone en demi-finale. Certains y ont vu deux des pires matchs de leur vie, d’autres y ont décelé l’essence même du football. L’esprit de groupe, de sacrifice, de collectif. Avec un Samuel Eto’o devenu arrière latéral, un taux de possession sous la barre des 30% mais une équipe soudée. Ce n’est que dans ces moments que la vraie nature des joueurs ressort, et que l’importance de l’entraîneur prend tout son sens. Certaines équipes, lorsqu’elle sont en difficulté, disparaissent ou deviennent fades à regarder. D’autres se subjuguent et forcent le respect par leur envie. Qui n’a pas aimé Cambiasso, Lucio, Sneijder ou Milito à ce moment-là ? Quel amateur n’a pas éprouvé un respect colossal pour Thiago Motta ? Qui n’a pas eu un sourire devant José Mourinho courant les bras levés et hurlant sa joie au Camp Nou ?

L’autre équipe pour qui la souffrance est un moteur, c’est la Juventus. Son histoire est basée sur cette sensation, viscérale. La souffrance, et puis l’espoir, comme l’année dernière en 1/2 de la LDC. Annoncée perdante contre le Real Madrid, la Juventus plie sous les attaques des merengue mais ne rompt pas. Elle attend, patiemment, et saisit sa chance. La victoire n’en est que plus belle, après deux matchs âpres passés à souffrir. En finale contre le Barca, rien n’y fera. Ils perdront après avoir coulé trop tôt et avoir manqué de peu une folle remontée, aux tripes. Cette année encore, contre le Bayern Munich… En deux matchs, la Vieille Dame n’a pas perdu une fois dans le temps réglementaire contre l’ogre Bavarois. Elle a d’abord réalisé une folle remontée de 0-2 à 2-2 chez elle, puis a tenu héroïquement 2-0 avant de s’écrouler dans les dernières secondes au match retour, 4-2 après prolongations.

Si les supporters sont les premières victimes émotionnelles de ces matchs acharnés, où le panache est parfois la seule arme pour créer l’impensable, les joueurs concernés savent bien qu’il n’y a pas meilleure école que la douleur, qui scelle l’attachement à un club, à un groupe. D’ailleurs à la souffrance est souvent lié l’espoir. Ils le savent, ils reviendront plus forts, plus expérimentés, même si leur équipe n’est pas la meilleure sur le papier. Seulement, ils ont ce petit supplément d’âme, et peut-être que l’année prochaine…