« C’est parce que j’ai vu la Juventus souffrir que je l’ai aimée »

« C’est parce que j’ai vu la Juventus souffrir que je l’ai aimée »

2 novembre 2015 2 Par Nicolas Basse

Sur Twitter ils s’égosillent, provoquent, distillent des informations précieuses, beuglent leur passion ou commentent de matchs en direct. Grâce à eux, suivre le football Italien est devenu plus facile, émouvant ou très drôle. Puisqu’ils font vivre le Calcio, nous avons décidé de les interviewer. Place à celui qui se fait appeler Dante, membre pendant 5 ans de Calciomio.

Peux tu te présenter ?

J’ai 29 ans et je suis une sorte de Peter Pan moderne. Je n’ai aucune branche professionnelle en particulier et suis difficile à présenter en quelques lignes. Disons que j’erre au gré du vent avec une volonté féroce de ne pas grandir.

baggio

Depuis quand es-tu supporter de la Juventus ? Pourquoi ?

Je suis juventino depuis 1993. À cette époque, la Juventus évolue dans l’ombre du grand Milan de Fabio Capello. De fait, j’ai appris à aimer une Vieille Dame qui devait lutter avec ses armes (Baggio hante encore mes nuits) pour compenser une qualité individuelle peut-être légèrement inférieure. Ce sont très clairement les valeurs de cohésion et de sens du sacrifice véhiculées par une società orgueilleuse qui m’ont poussé à faire de la Juventus la Squadra del cuore. Des valeurs trop souvent oubliées ou méconnues du grand public, qui préfère voir la majorité des juventini comme des opportunistes appréciant surtout les titres et les victoires. C’est parce que j’ai vu la Juventus souffrir que je l’ai aimée.

Un joueur, un souvenir à évoquer en particulier ?

Je pourrais citer Baggio, esthète intemporel et poète aux multiples facettes ou Scirea (que je n’ai pas connu de son vivant hélas) qui m’a beaucoup marqué par cette classe froide et absolument indescriptible. Mais je dois citer Alessandro Del Piero parce qu’il a été le capitaine de tous les records et parce qu’il a été le joueur emblématique d’une époque à deux visages. Un souvenir : le 9 septembre 2006, nous sommes à Rimini pour le premier match en Serie B de la Juventus après le CalcioPoli (Procès sportif pour lequel la Juventus a été totalement blanchie après une procédure pénale de 7 ans et demi et une cassation (sic)). Les joueurs pénètrent sur la pelouse et les ladri (voleurs) descendent des tribunes pour désigner les bianconeri. Et là, un homme avec le maillot noir de la Juventus et portant le brassard blanc de capitaine foule la pelouse. Le contraste entre le noir et le blanc est saisissant et on ne voit finalement que lui, le torse bombé, le regard droit, la volonté de rendre à la Juventus la place qui lui revient. C’est finalement une image qui définit parfaitement ce qu’est la Juventus. Une affaire d’hommes et de principes.

L’attribution du 10 à Pogba est clairement un coup de pression d’Adidas pour attribuer ce numéro emblématique à quelqu’un

Vu son début de saison décevant, fallait-il vendre Pogba pour une énorme somme cet été ?

Je ne pense pas. Malgré les réserves que j’ai vis à vis de ce joueur (ou plutôt vis à vis de son agent), je continue de penser que sa place est à la Juventus et qu’aucun autre club ne lui donnera l’environnement adéquat pour s’affirmer. En France, on ne connait pas la Juventus ni son mode de fonctionnement. On sous-estime le côté humain du football Italien. L’Italie forme des joueurs, mais aussi et surtout des hommes. Écoutez Marchisio faire une analyse tactique après une rencontre et écoutez les joueurs de Ligue 1. Vous comprendrez peut-être l’écart qui subsiste entre la vision Italienne du football et celle des autres pays, notamment la France. De fait, Pogba a tout à gagner en restant en Italie et à la Juve. Espérons que son agent ainsi que son entourage en auront conscience. Je suis par contre réservé voire réfractaire à l’attribution du 10 à Pogba qui est très clairement un coup de pression d’Adidas pour attribuer ce numéro emblématique à quelqu’un. Un numéro qui met une pression inutile sur le dos de Pogba. Quoiqu’il en soit, la Juventus n’appartient à aucun joueur. Et quand tu as eu Buffon, Nedved, Del Piero, Baggio, Platini et Scirea dans l’équipe, c’est pas en étant Pogba que tu vas devenir le centre du monde Juventino. Que les gens aient conscience de ça, bon sang. On ne peut pas parler de la « Juventus de Pogba » comme en abusent les journalistes Français.

Buffon même pas dans la présélection pour le Ballon d’Or. Une réaction ?

Del Piero non plus, Pirlo non plus, Maldini non plus. Et j’ai tout dit.

Un milieu sans Pirlo, ça a tout de suite moins la classe, non ?

Forcément on perd avec Andrea un joueur unique en son genre. Plus que le joueur, on perd son aura. Celle-là même qui faisait qu’un joueur de l’équipe adverse était systématiquement en marquage individuel sur lui, cette aura qui fait que le bloc défensif d’une équipe n’osait pas trop remonter de peur de se prendre une passe laser dans le dos. Son apport réel à l’équipe était assez fluctuant. Un petit peu moins utilisé sur la fin, il n’en restait pas moins un joueur essentiel grâce à ses caractéristiques uniques et à son coté meurtrier sur coups-francs. Sa science du placement et ses passes manqueraient dans n’importe quel milieu. Après, la classe est un concept assez flou pour les juventini. Boniperti (attaquant légendaire de la Juve) disait « gagner n’est pas important. C’est l’unique chose qui compte ».

De nouvelles infrastructures de haut niveau, de nombreux jeunes joueurs talentueux, comment vois-tu le futur ?

Radieux serait sans doute présomptueux mais la vision à long terme est toujours quelque chose qui a caractérisé la Juventus tout au long de son histoire. Le retour à la tête du club d’un Agnelli permet aussi au club de renouer avec ses traditions après la gestion absolument désastreuse du duo Secco/Blanc, qui n’avaient clairement pas conscience du poids de nos traditions.

D’ailleurs Rugani ne joue jamais. Qu’en penses-tu ?

Ça ne me surprend qu’à moitié car la défense est sans doute l’endroit le plus concurrentiel à la Juventus actuellement. Difficile de vraiment se faire une place quand on a des monstres comme Chiellini, Bonucci et Barzagli devant soi, et que même les remplaçants sont des joueurs de très haut niveau à l’instar de Caceres. Il est très jeune et la Juventus prend généralement son temps avec les jeunes joueurs (trop parfois). Le risque de le cramer est important et je pense qu’il aura sa chance, sinon il sera sans aucun doute prêté pour avoir du temps de jeu, chose assez commune en Italie.

L‘Inter Milan, ça t’inspires quoi ?

Rien de bon. Mais les conséquences de ce ressenti négatif sont finalement assez extra-sportives et seuls les initiés aux différents « dossiers » pourraient comprendre de quoi je pourrais parler, donc disons que l’Inter est une équipe aux valeurs diamétralement opposées à la Juventus. Et que de fait, elle ne m’inspire rien de positif. Noi siamo Onesti restera comme une insulte. Non seulement pour le juventino, mais aussi pour l’être doté d’un minimum d’honnêteté intellectuelle.

                       Plus qu’un paradoxe, c’est de la schizophrénie

Difficile de supporter beaucoup de clubs Italiens pour des questions de rivalité. Pourtant, le renouveau de la Serie A passe par leur réussite en Europe. Comment gères tu ce paradoxe ?

Difficilement. Car je souhaite que les gens arrêtent de cracher sur le Calcio et l’Italie (souvent par manque flagrant de connaissances sur tout ça) mais il y a des équipes en Italie auxquelles je ne souhaite que du mal. D’ailleurs en Italie la plupart des tifosi sont autant amoureux de leurs équipes respectives que profondément haineux envers les autres représentants de la Botte durant les compétitions européennes. Le hashtag #JuveMerda était en TopTweet en Italie sur Twitter le soir de la finale de Champion’s League. Ça donne une idée… Donc me concernant, j’essaye de rester neutre sans vraiment y parvenir. Quand la Fiorentina, l’Inter ou le Napoli évoluent en CL ou en Europa League (quand ils parviennent à s’y qualifier), j’espère dans mon fort intérieur qu’ils se fassent pourrir. Même si je suis le premier à être fier de pouvoir dire que l’Italie a 6 qualifiés sur 7 pour un prochain tour Européen quand la France n’en a que 2… Plus qu’un paradoxe, c’est de la schizophrénie. J’essaye de vivre avec mais je dois admettre que j’ai parfois l’impression que les juventini ont plus tendance à penser au coefficient UEFA et à l’honneur de l’Italie que d’autres villes aux mentalités particulières comme Naples ou Florence.

Y a t’il une équipe Française que tu apprécies ?

Je suis né à Marseille et j’ai donc eu une affection pour l’OM de la fin des années 80 /début 90. Mais ça n’a jamais été autre chose qu’une vague sympathie pour un club qui aujourd’hui ne représente franchement plus rien pour moi. Reste cette lointaine sympathie pour un club qui à l’époque était géré comme un club Italien d’une certaine manière.

Pour beaucoup de Français, la Juventus est associée à la corruption. Que leur dirais-tu pour les faire changer d’avis ?

Je ne pense pas qu’un argument en particulier venant d’un fervent juventino puisse toucher des gens qui pensent ce genre d’âneries. J’ai « travaillé » sur le dossier Calciopoli pendant pratiquement 7 ans et je pense qu’il faut prendre le temps de se renseigner avant de porter des jugements aussi lourds de conséquences. Mais encore une fois voilà longtemps que j’ai plus ou moins abandonné l’idée de débattre de ça avec des Français, qui ne sont pour la plupart pas du tout réceptifs. Internet permet de se renseigner, qu’ils le fassent.

Tu te sers de Twitter pour exposer ta passion de la Juve et… des messages pour le respect des animaux. D’où te vient cette sensibilité ?

Je crois que c’est quelque chose qui m’habite depuis toujours. J’ai grandi avec des animaux autour de moi, et j’ai vite compris qu’ils étaient aussi sensibles ( si ce n’est plus ) que nous. L’humanité est un beau concept mais l’humain est finalement assez peu « humain ». J’ai trouvé chez l’animal une compassion et une fidélité qui ne se trouve pratiquement pas chez l’humain. Je me bats pour qu’on reconnaisse enfin que le traitement qu’on inflige à ces êtres vivants et sensibles est tout sauf humain. Que ce soit pour le profit de parcs aquatiques, pour les zoos, pour les cirques, pour notre consommation, pour la fourrure… Les animaux sont des êtres sensibles, et un jour il faudra qu’on prenne conscience qu’ils sont indispensables à notre biodiversité et à l’avenir de notre planète.

Un souhait pour la saison à venir ?

Que la Juventus continue d’honorer son statut et sa tradition. Qu’on gagne ou pas à la fin, les adversaires doivent toujours nous craindre, et savoir qu’une victoire se fera au prix d’une volonté plus forte que la notre. Que la Juventus continue de garder la tête haute. Parce que son histoire l’exige.

@nicolas_basse