L’Equipe ou l’art du quiz cliché

L’Equipe ou l’art du quiz cliché

23 février 2016 1 Par Nicolas Basse

À peine quelques jours après les commentaires navrants de Christophe Dugarry sur l’AS Roma, c’est au tour du journal L’Equipe de véhiculer des clichés surannés et négatifs sur le football Italien à travers un quiz.

Nous sommes le 23 février 2016 et la campagne de Ligue des Champions est repartie depuis une semaine, avec des affiches très alléchantes. Ce soir, quatre des plus grosses équipes s’affrontent en deux matchs explosifs : Arsenal-Barcelone et Juventus-Bayern. Un programme qui forcera certains à utiliser la fameuse technique du doublé écran.

À cette occasion, le site du quotidien L’Equipe publie un quiz intitulé : « Êtes-vous plutôt Arsenal, Juventus, Bayern ou Barça ? Laquelle (de ces équipes) se rapproche le plus de votre conception du football ? ». Un procédé assez courant et amusant, surtout pour ceux dont le cœur balance entre deux de ces équipes. Seul problème, c’est un exercice assez périlleux : comment résumer la philosophie de quatre clubs avec une telle histoire en seulement 10 questions ?

Dix questions, trois clichés

Pour faire court, les réponses proposées doivent être les plus différenciées possibles. Dès la première question (« votre vision du football c’est plutôt? »), c’est visible : la réponse A « le tiki taka, meilleur moyen de gagner est de confisquer le ballon » correspond au Barça, la B au Bayern « le football total », la D « tout pour l’attaque à Arsenal et la C à la Juventus. Jusque là tout va bien, pas d’offense, puisque même l’icône de Turin Giampiero Boniperti disait : « Gagner n’est pas important, c’est l’unique chose qui compte ». Pour les questions 2 et 3, toujours pas de problème, elles traitent de l’ambiance en tribunes et de la fierté de son club.

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Question 1 de l’Equipe

Tout bascule à la question 4 « un adversaire vous met au sol avec un tacle un peu trop appuyé. Quelle est votre réaction? ». Quand la réponse B suggère l’intensité et les contacts virils de Premier League, la C fait référence à Suarez du Barça et la D le jeu Allemand, la A renvoie clairement à la Juventus et, plus généralement, au football Italien : « vous vous tordez de douleur comme si on venait de vous AMPUTER une jambe ». Amputer, carrément. Mais si, vous savez, ces joueurs qui n’en finissent plus de rouler par terre à chaque contact, vicieux et tricheurs, qu’on ne voit nulle part ailleurs !

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Question 4 de l’Equipe

On passe à la question 5 et là encore, haut-le-cœur. Les réponses laissent peu de place au doute : la A fait référence à Arsenal, la B au Bayern Munich, la D à Barcelone et la C à la Juventus. Quand les attaques sur les trois autres clubs abordent le volet sportif, celle concernant la Juventus s’attaque à un aspect extra-sportif et vient encore une fois renforcer un cliché : Italie = corruption. Les journalistes de L’Equipe sont-ils au courant que la Juventus est en passe d’être (au moins en partie) lavée des accusations du Calciopoli ? N’ont-ils pas lu les rapports alarmants d’organisations du football faisant part de matchs truqués partout en Europe ? Il n’y aurait donc que les Italiens suspectés de tricherie ?

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Question 5 de l’Equipe

S’il n’y a rien à dire sur les questions 6 à 9, la dixième et dernière fait office de bouquet final ! Pour L’Equipe, c’est clair. Arsenal a l’habitude de « perdre en ayant bien joué », Barcelone « gagne en trottinant », le Bayern Munich s’impose « sans qu’on ait compris la formation utilisée » et la Juventus arrache la victoire « en ayant tiré deux fois au but ». Ah le catenaccio, Helenio Herrera, le bus garé devant les cages, les matchs minimalistes, le spectacle qui n’est pas au rendez-vous… Mais L’Equipe est-il au courant qu’en 26 matchs de championnat la Juventus a marqué autant de buts que Tottenham, 5 de plus qu’Arsenal et 11 de plus que l’Atletico Madrid ? Sont-ils conscients que beaucoup d’équipes en Italie produisent un jeu léché et offensif ?

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Question 10 de l’Equipe

Étiquette

En 2016, il y a donc encore des gens pour nous faire croire, inconsciemment ou non, que l’Italie est le pays de la simulation grossière, de la corruption, du jeu fermé et peu spectaculaire. Évidemment, le Calcio n’est pas exempt de tout reproche. Des joueurs plongent, des affaires louches ont eu lieu et certaines équipes préfèrent bétonner. Mais pas plus qu’ailleurs en Europe ou dans le monde. D’ailleurs, à l’heure d’un football ultra-mondialisé, est-il raisonnable de vouloir coller une étiquette à chaque championnat ? Une Liga offensive mais peu tactique, une Premier League ultra spectaculaire grâce à des défenses et des gardiens médiocres ou une Bundesliga où seules deux équipes font figure de favori ne sont-ils pas autant de clichés qui n’ont plus lieu d’être ?

Évidemment, ce quiz se voulait léger, au ton taquin, drôle et il abuse aussi des généralités sur la Premier League, la Liga ou la Bundesliga. Seulement, l’image de la Juventus qu’il renvoie est beaucoup plus négative que les autres. C’est dommage. La Serie A a besoin d’être mise en valeur et, en s’y intéressant, L’Equipe ferait l’effort de sortir de la pensée toute faite et retrouverait son rôle : informer plutôt que véhiculer des clichés d’un ancien temps.

@nicolas_basse