Aquilani, le petit prince déchu
La Roma, Liverpool, la Juventus, l’AC Milan… Malgré un parcours impressionnant, Alberto Aquilani n’aura jamais remporté le moindre titre majeur ni atteint le statut qui lui était prédestiné : celui de grand milieu de terrain italien. À 32 ans, il lui reste peu de temps pour changer tout ça.
Il y a des joueurs dont la seule évocation procure des frissons. C’est comme ça. Cela ne s’explique pas. Alberto Aquilani en fait partie. Rien qu’à son nom, l’oreille se braque, la nuque se tend, les poils se dressent, les pupilles se dilatent. Instinctivement, on se le répète pour soi. Alllberrrrto Aquuuilani. En prenant bien le temps de prononcer chaque syllabe. Ensuite, on l’imagine, physiquement. Ses cheveux d’un brun obscur un peu longs, son léger strabisme, son allure d’enfant chétif malgré son mètre 86 et son menton à la Kirk Douglas.
Bizarrement, on se souvient moins bien de moments précis de sa carrière ou de faits de jeu spéciaux. On sait qu’il est fort, qu’on l’adule, mais rien ne vient immédiatement à la mémoire. En même temps, cela fait plusieurs années que le « Petit Prince » n’a pas fait une saison digne de son talent. D’ailleurs, on se rappelle qu’il a 32 ans, que sa fin de carrière approche, et ça nous rend triste. Une tristesse d’autant plus forte que Aquilani avait tout pour réussir une carrière folle et nous remplir la mémoire de dizaines de souvenirs inoubliables.
Débuts prometteurs
Pourtant, tout avait très bien commencé pour le natif de Rome. Formé à l’AS Roma, il joue un match avec l’équipe première en 2002-2003 et fait partie des hommes forts remportant l’Euro des moins de 19 ans avec l’Italie, avant d’être prêté un an en Serie B à Triestina. Là, il participe à 41 matchs et marque 4 buts. Au milieu de terrain, Aquilani s’impose comme un élément central, indispensable. À la récupération aussi bien qu’à la relance, il excelle et incite la Roma à le faire rentrer dans ses plans dès l’année suivante. Dès 2004-2005, il joue 38 matchs toutes compétitions confondues avec son club formateur et passe du statut de grand espoir à celui de jeune taulier du cru. En 2005-2006, il profite de l’arrivée de Spalletti pour rentrer dans ses petits papiers en faisant une nouvelle bonne saison.
À ce moment-là, tout va pour le mieux. La Roma a terminé 2ème du championnat, Aquilani séduit les supporters et les observateurs et semble former, avec De Rossi, la doublette maison pour l’avenir du club au milieu de terrain. Puis vient l’année 2006-2007, attendue comme celle de la confirmation pour la nouvelle Roma très joueuse de Spalletti mais aussi pour Aquilani. Malheureusement, après une première convocation en équipe nationale récompensant 65 sélections en catégories inférieures (!!), la saison de la Roma commence par une folle défaite en Supercoupe d’Italie (4-3 contre l’Inter Milan) au cours de laquelle Aquilani marque un doublé. Autre tracas, le joueur se blesse fin novembre au genou. Bilan : 6 mois d’indisponibilité et le début des problèmes physiques.
L’erreur anglaise
L’année 2007-2008 repart sur de bonnes bases pour le club et Aquilani, avec une victoire en Supercoupe d’Italie et un retour en pleine forme. Quelques buts et passes décisives plus tard, le Petit Prince se blesse contre Manchester United en Ligue des Champions, puis revient courant 2008 et remporte la Coupe d’Italie pour une saison où il aura quand même joué 34 matchs. Seulement, les blessures ne le lâchent pas et il en accumule plusieurs au cours d’une année 2008-2009 infernale durant laquelle il joue à peine 20 matchs et ne trouve jamais de continuité dans ses performances. À l’été 2009, Aquilani n’est plus une valeur sûre de la Roma mais simplement un bon joueur tentant éternellement de faire un retour définitif sur le devant de la scène.
C’est à ce moment précis qu’il fait l’erreur de sa vie. Plutôt que de rester à la Roma et de prendre le temps de soigner définitivement ses blessures, il accepte une offre de Liverpool (transfert estimé à 23 millions d’euros) et un rôle difficile à assumer : celui de successeur de Xabi Alonso au milieu de terrain des Reds. Avec l’intensité anglaise et un jeu assez pauvre tactiquement, uniquement basé sur du jeu rapide et sans grande construction, Aquilani n’arrive pas à s’adapter, semble incompris de ses partenaires et, surtout, se re-blesse. Passée cette mauvaise expérience, il est prêté un an avec option d’achat à une Juventus faisant tant bien que mal son retour sur le devant de la scène en Serie A.
Allers-retours
Revenu en Italie, sous les ordres de Luigi Delneri et débarrassé de toute blessure, il réalise une grande saison. Omniprésent au milieu de terrain avec Claudio Marchisio, il joue 39 matchs et participe activement à la correcte 7ème place finale de la Vieille Dame. Bizarrement, après cette belle et pleine année 2010-2011, la Juventus ne lève pas l’option d’achat de 21 millions d’euros. Dommage pour Aquilani, puisque dès la saison d’après le club de Turin retrouve les sommets et remporte le premier de ses 5 titres d’affilée en Serie A.
Au lieu de rester à Vinono, Aquilani est de nouveau prêté par Liverpool, qui ne compte pas le joueur dans ses plans, à l’AC Milan. Chez le champion d’Italie en titre, il réalise une bonne saison. Pas suffisant pour rester, jugent la direction du Milan, qui le renvoie à Liverpool. Indésirable sur la Mersey, aucun club ne semble vraiment s’intéresser au Romain. Heureusement, la Fiorentina se décide à l’engager et débourse… 2 millions d’euros pour s’attacher ses services !
Pas de saut qualitatif
À la Viola, entouré de Borja Valero, Badelj, Mati Fernandez et autres Claudio Pizarro, il enfile trois belles années de football (de 2012 à 2015) à sa carrière. Beau jeu, propreté technique, vista, temporisation, anticipation, il retrouve son niveau entrevu quelques années plus tôt à la Roma et quelques sélections avec l’Italie. Fin 2013, il portera pour la 38ème et dernière fois le maillot azzurro. Malgré la satisfaction de ce retour en grâce, il y a comme un goût de trop peu, d’inachevé. Certes il rejoue bien au football, mais il ne passe pas ce cap que beaucoup espéraient en 2007 ou 2008. Aquilani ne s’impose pas comme le joueur essentiel de l’équipe de Florence, mais seulement en tant que rouage important parmi ses partenaires du milieu de terrain.
L’inexistence de ce saut qualitatif se confirme lorsqu’en 2015 il s’engage au Sporting, choix assez surprenant pour un joueur en fin de contrat sortant d’une bonne expérience en Serie A. Là-bas, bien que « l’entraîneur Jesus aimait bien son profil et le protègeait lors des premiers mois, il a fait quelques bons matchs mais n’a jamais été vraiment régulier et n’a pas réussi à s’intégrer complètement. Il était tout simplement moins bon que les joueurs évoluant à son poste » raconte William Pereira (20 minutes, Sofoot et spécialiste du football portugais).
Et maintenant ?
Après seulement un an au Portugal, il est libéré par le club et décide de revenir dans un petit club italien, Pescara, et s’inscrit parfaitement dans un projet où le jeu est mis en avant et où les jeunes générations (Benali, Cristante, Verre, Bahebeck, Caprari, Manaj) côtoient des joueurs plus expérimentés (Campagnaro, Pepe, Bizzarri). Et Aquilani, donc. Parce qu’à 32 ans, le Petit Prince n’est plus un espoir, ni un grand joueur italien ni même un joueur-clé de son équipe. Il est devenu un pari, un bon joueur sur lequel compter pour fluidifier le milieu de terrain, un joueur de bouteille pour encadrer de jeunes talents, mais rien de plus.
Rien de plus, vraiment ? Pour ses 3 ou 4 dernières saisons, Alberto Aquilani peut encore tenir son rôle de fournisseur de frissons à chaque match. D’un toucher de balle, avec un contrôle rapproché, par une frappe lointaine, d’une ouverture coquine, en récupérant le ballon avec une facilité déconcertante, il en faudra peu pour donner du plaisir à ses fans et satisfaire son entraîneur. C’est justement parce qu’il en faudra peu qu’Aquilani s’en contentera et qu’il ne sera jamais allé plus haut.