Foot culture #3. Liberté
Chaque numéro de foot culture sera consacré à une oeuvre culturelle liée au football. Pour le #3, place à Timbuktu, le film d’Abderrahmane Sissako, pour l’une des plus belles scènes de football du cinéma. Garantie 100 % sans ballon.
Il y a des gens pour dire, après avoir vu Timbuktu au cinéma, « il ne se passe pas grand chose », ou encore « j’étais très déçu, on en a trop parlé ». D’une certaine façon, c’est vrai qu’il ne se passe « pas grand chose » pendant 1h40 de film. Pas de course poursuite, pas d’explosion, pas de gags à répétition, pas de scènes de sexe endiablées, pas de vulgarité, presque pas de violence. Non, Timbuktu est au-delà de tout ça. Timbuktu parle de liberté.
Au Mali, entre les dunes de sable, une petite rivière, des troupeaux clairsemés et quelques arbres se trouve Tombouctou, la ville aux « 333 saints », « la perle du désert », bâtie en terre cuite et abritant des monuments séculaires. Une cité à partir de laquelle l’Islam s’est propagée et ancrée en Afrique de l’Ouest dans le passé et que des djihadistes ont décidé de soumettre à leur loi. Discrètement ou avec panache, les habitants résistent. Des femmes refusent de mettre des gants, de se voiler. Des couples chantent et jouent de la musique alors qu’elle est interdite. l’Imam tente d’apaiser les djihadistes en leur parlant de sa vision ouverte et pacifique de l’Islam. Un discours qui les touche, eux qui sont venus de France et du Maghreb.
Interdit
Parmi eux, aucun monstre assoiffé de sang, mais la plupart est perdue, fait face à des doutes. En cachette certains fument, dansent, aiment. Il n’y a pas d’un coté les bons et de l’autre les méchants. C’est là que Timbuktu se distingue. Il est tellement facile et rassurant de se dire que, de toute façon, les djihadistes ne sont que des fous aveuglés par la haine. Mais que penser une fois qu’on les voit sourire, discuter de banalités ou être désespérément amoureux ?
Depuis leur venue, le football est également interdit. Que ce soit à moto ou en 4×4, les djihadistes quadrillent la ville et ses alentours, vérifiant que toutes leurs règles sont appliquées. Saisissant quelques minutes d’inattention des sentinelles, des habitants de Tombouctou se ruent sur le terrain. Sur leur visage, une joie incommensurable. Sur leurs corps, les maillots de grandes équipes. D’un but à l’autre, les attaques sont rapides, les gestes précis. Le rythme est endiablé, le sable vole à chaque mouvement. Au bout de quelques secondes, une équipe marque. Les joueurs célèbrent ce but comme les plus grands joueurs, s’étreignent, courent les bras ouverts, exultent. Et pourtant, les filets ne tremblent pas.
Le ballon, ils le voient
On ne s’en était même pas rendu compte, mais ils jouent sans ballon. Portés par une force collective, ils pensent ensemble le déroulement de la partie et la jouent à vide. Sans balle. Un homme court, son adversaire le tacle et fait le geste de relancer la balle à un de ses partenaires. Tout est fluide, comme s’ils arrivaient tous à imaginer, au même moment, l’action et les mouvements du ballon. Sur un centre, l’attaquant s’élève, place une tête un peu trop molle que le gardien parvient à capter. Les défenseurs félicitent le goal, les adversaires sont dépités qu’il n’y ait pas eu but. Et aussitôt tous repartent dans l’autre sens, les yeux fixés vers là où est le ballon. Ils le voient. Ils n’en ont même pas besoin.
Cette scène ne dure peut-être qu’une minute. Très vite, des djihadistes reviennent et la partie s’arrête instantanément, chacun s’écartant du groupe et simulant un échauffement, de la musculation ou des étirements. Mais pendant ce laps de temps, ils ont oublié leurs problèmes. Pas que la présence des djihadistes, mais aussi la sécheresse, l’exode des habitants, leur peur. Là-dedans, rien de naïf, pas de bons sentiments. Le football a ce pouvoir, ceux qui le pratiquent le savent. À l’image du film, cet instant d’imagination collective est une ode à la résistance et à la liberté. Tellement libres qu’ils arrivent à vivre heureux malgré la présence des djihadistes et de leurs règles envahissantes. Tellement libres qu’ils n’ont même pas besoin de ballon pour jouer au football.