L’Italie et la Coupe du Monde 1958

L’Italie et la Coupe du Monde 1958

18 décembre 2017 4 Par Nicolas Basse

On l’a assez répété : en 2018, l’Italie ne participera pas à la Coupe du Monde. Une première depuis 1958. Retour 60 ans en arrière pour comprendre la première grande catastrophe de la Nazionale.

Ha, le Mondial 1958 en Suède. Mythique ! La révélation Pelé, la génération française Kopa/Piantoni/Fontaine et le record de 13 buts inscrits par « Justo » en une édition, la seule année où toutes les équipes du Royaume-Uni sont qualifiées, l’unique compétition qu’un pays européen ne remporte par sur son continent à cause d’un grand Brésil, un tournoi où se côtoient les stars Kurt Hamrin et Niels Liedholm pour la Suède ou encore Lev Yachine de la puissante équipe d’URSS… Mais surtout, la Coupe du Monde 1958 se déroule sans l’Italie, double championne du monde et pays le plus titré à l’époque, avec l’Uruguay.

Pour comprendre la non-qualification de l’Italie à cette Coupe du Monde, il fait revenir encore un peu plus loin, à la fin de la seconde guerre mondiale. Un conflit dont le pays se relève difficilement. 500 000 Italiens meurent entre 1939 et 1945, dont 10 000 rien que dans l’épuration sauvage après la chute du régime fasciste. Les usines sont soit obsolètes soit effondrées après les bombardements, l’occupation allemande et, dans une bien moindre mesure, le passage des Alliés ont humilié la population et le passage du fascisme à la démocratie prend du temps.

Footballistiquement au summum avant la guerre avec deux victoires en Coupe du Monde (1934 à la maison et 1938 en France) et aux Jeux Olympiques de 1936, l’Italie revient péniblement sur la scène européenne. Et alors que la République s’installe petit à petit, le sport contribue à apaiser certains maux et redonne le sourire à beaucoup dans la Botte. Les succès des cyclistes Fausto Coppi et Gino Bartali font la fierté des Italiens tandis que le beau jeu pratiqué par le Grande Torino offre un regain de popularité au Calcio. Malheureusement, le crash du Superga dans lequel l’équipe du Torino trouve la mort en mai 1949 secoue profondément l’Italie et prive son équipe nationale de ses meilleurs joueurs, dont Valentino Mazzola et Franco Ossola.

Les échecs de 1950 et 1954

Quelques mois plus tard, en 1950, la Coupe du Monde reprend ses droits après 12 ans d’absence. L’Italie championne en titre mais amputée de 8 titulaires finit à la deuxième place, alors éliminatoire, de son groupe, derrière la… Suède ! Malgré cet échec cuisant, c’est le début du « miracle économique italien » et le pays retrouve un dynamisme effréné.

Vient la Coupe du Monde 1954 qui se déroule chez le voisin Suisse. Après avoir consumé Silvio Piola et Giuseppe Meazza au poste de sélectionneur, la Nazionale fait appel au Hongrois Lajos Czeizler. Menée par son attaquant Boniperti, l’Italie tombe dans le groupe du pays hôte, de l’Angleterre et de la Belgique. L’Angleterre termine première, devant la Suisse et l’Italie à égalité de points. Les deux équipes se départagent avec un match de barrage… remporté par les Helvètes.

Foni et les Oriundi

Après ces échecs, la lourde tâche de prendre en main l’équipe d’Italie échoit à Alfredo Foni. Cet ancien joueur de la Juventus, ayant participé à la victoire aux JO de 1936 et à la Coupe du Monde de 1938, vit une seconde carrière dans le football en tant qu’entraîneur. Il remporte notamment deux Scudetti consécutifs avec l’Inter Milan en 1953 et 1954. Respecté et parmi les premiers à populariser le poste de Libéro, son objectif est clair : redresser l’équipe nationale et faire quelque chose au Mondial 58, en Suède.

Pour cela, il faut passer par la phase éliminatoire avec un groupe composé du Portugal et de l’Irlande du Nord, deux pays n’ayant jusqu’alors jamais atteint la phase finale de la Coupe du Monde. À cette époque, seul le premier obtient son ticket pour la suite de l’aventure. Afin de mettre toutes les chances de son coté, Foni fait appel à plusieurs Oriundi, ces joueurs étrangers naturalisés grâce à un ancêtre italien et dont la sélection fait souvent polémique. Parmi eux, deux Uruguayens, Ghiggia de l’AS Roma et Schiaffino de l’AC Milan, vainqueurs de la Coupe du Monde 1950 avec l’Uruguay, l’Argentin Montuori de la Fiorentina et le Brésilien Da Costa de l’AS Roma qui ne jouera qu’un seul match…

La campagne de qualification commence bien avec une victoire 1-0 contre l’Irlande du Nord, mais la raclée 6-1 infligée par la Yougoslavie en Coupe Internationale et la lourde défaite 3-0 au Portugal lors du deuxième match de groupe mettent un coup d’arrêt aux joueurs de Foni. Le 4 décembre 1957 se déroule un déplacement crucial en Irlande du Nord. Pourtant, quelques heures avant le coup d’envoi, c’est la panique. L’arbitre hongrois est retenu à Londres, à l’aéroport d’Heathrow. Malgré une tentative désespérée de trouver un arbitre agréé par la FIFA, les dirigeants des deux équipes s’entendent pour transformer la rencontre en amical et reporter le match de qualification au 15 janvier 1958. L’histoire retiendra cet « amical » comme une des rencontres les plus violentes de la décennie, terminé sur le score de 2-2 et désormais connu comme « la bataille de Belfast ».

La stupéfaction

Le 22 décembre 1957, l’Italie bat le Portugal 3-0 à Milan et garde son avenir entre ses mains pour la dernière rencontre. Il « suffit » de ramener un point d’Irlande du Nord pour valider la qualification. Quelques jours avant le match, tout ne se passe pas comme prévu. Le milieu de la Fiorentina Guido Gratton, élément important de l’équipe, souffre d’un rage de dent et d’un furoncle sur le nez. Résultat : une fièvre qui l’écarte du groupe. Pendant que le joueur devient fou de rage, la fédération italienne procède à la naturalisation express de Dino Da Costa.

Le 15 janvier 1958, l’équipe d’Italie rentre sur la pelouse du Windsor Park de Belfast et la stupeur saisit commentateurs et tifosi. Alors que la Nazionale doit assurer le point du nul, Foni a décidé d’aligner trois pointes et deux milieux offensifs. Un choix très offensif et qui tranche avec l’enjeu du match. L’Irlande du Nord s’impose 2-1, avec des buts de Cush et McIlroy contre une réduction du score de Da Costa. En seconde mi-temps, Ghiggia est expulsé et l’Italie ne peut pas changer son système de jeu puisque les remplacements ne seront autorisés qu’à partir de 1965.

Après le coup de sifflet final, on réalise enfin. L’impensable s’est produit : l’Italie ne participera pas à la Coupe du Monde 1958. Une première et, forcément, un drame pour le pays. Très vite, Foni est critiqué pour sa « tactique suicidaire » et beaucoup reprochent aux Oriundi leur manque d’investissement et de ferveur nationale. Classique. Humilié, le pays n’est pas au bout de sa peine puisque la Nazionale enchaine une série de 8 matchs sans victoire entre 1958 et 1959. Sa pire période.

Une de la Gazzetta delle Sport du 16 janvier 1958

Cette élimination ne plonge pas le pays dans la crise, contrairement à ce que beaucoup insinuent aujourd’hui. L’Italie connait entre 1958 et 1963 le zénith de son miracle économique et voit sa société changer en profondeur. Footballistiquement, le pays se redresse avec une montée en puissance du Calcio au début des années 60, comme le prouvent les succès de l’AC Milan et de l’Inter sur la scène européenne. Pour la Nazionale, il faudra attendre 10 ans et la victoire, à la maison, de l’Euro 1968, avec Zoff, Facchetti et Alessandro Mazzola, fils de Valentino Mazzola mort dans le drame du Superga.

Pour en savoir plus sur l’Italie des années 60 : Musicalcio 2

@nicolas_basse