Buffon ou la farce du Ballon d’Or

Buffon ou la farce du Ballon d’Or

2 octobre 2015 3 Par Nicolas Basse

Décidément, le Ballon d’Or est une récompense toujours plus risible. Après ne pas avoir couronné Pirlo, Xavi, Maldini, Iniesta ou encore Baresi, la commission football de la FIFA n’a pas daigné inscrire Gianluigi Buffon dans la pré-sélection de 59 joueurs en lice pour le prochain trophée. Un scandale et une insulte au plus grand gardien de tous les temps.

Nous ne sommes pas là pour revenir sur le parcours de Gigi Buffon. D’autres l’ont déjà fait, de fort belle manière. Seulement, il n’aurait pas été correct de ne rien dire, ce vendredi 2 octobre 2015.  Comme presque chaque année, la presse (via la Gazzetta Dello Sport)  a sorti en avance la pré-sélection de joueurs en lice pour le Ballon d’Or 2015. Une lecture, puis deux, puis trois, une vérification sur un autre site, et il fallait bien accepter l’impensable : deux noms manquaient. Leonardo Bonucci et Gianluigi Buffon. Pour Bonucci, meilleur défenseur au monde la saison dernière, la raison est vite trouvée : seuls quatre défenseurs font partie de la sélection. Sergio Ramos, Giorgio Chiellini, Otamendi (sérieusement ?) et Alaba. Pas de Thiago Silva, de Vincent Kompany ni de Piqué. Une façon de confirmer que les instances du football n’ont que faire des défenseurs. Pas assez spectaculaires, offensifs, médiatiques.

Mais pour Buffon ? Quelle excuse, quelle raison invoquer ? Une histoire de places par poste ? Alors enlevez-nous ces Bravo, Ospina (oui vous avez bien lu), De Gea ou Courtois que l’on ne saurait voir. Des quotas par continent ? Alors comment lui préférer Bale, inexistant l’année dernière (et éliminé par la Juventus en LDC) ou Depay ? Et puis quand bien même il faudrait respecter une répartition de la sélection selon les zones géographiques, comment oser présenter avec une once d’honneur une liste comprenant Atsu (Bournemouth), Carlos Sanchez (Aston Villa), Massimo Luongo (QPR), Willian, Guardado ou Bony ?

Gigi l’amoroso

Alors évidemment, Buffon ne fait pas parler de lui, ne fait pas vendre des milliers de maillots, ne place pas d’accélérations dans son couloir ni de dribbles vus en boucle sur Youtube, ne bat pas des records de buts et sa page Facebook ne réunit pas 150 millions de fans à travers le monde. Pourtant, des titres et des records, il en cumule : plus grand nombre de sélections avec la Squadra Azzurra (150 capes), vainqueur de la Coupe du Monde 2006, vainqueur de la Coupe UEFA, 6 fois champion d’Italie, élu meilleur gardien de la décennie 2001-2010 et meilleur gardien au monde pour la période 1987-2011 (par l’IFFHS). Et puis, s’il tient jusqu’en 2018, il pourrait devenir le seul joueur à  disputer six Coupes du Monde. Un monstre.

De toute façon, Gianluigi Buffon est au-dessus de tout cela, parce que si Cristiano Ronaldo ou Lionel Messi marquent à jamais les pages d’Histoire, Buffon marquera pour toujours les cœurs de ceux qui l’ont vu jouer. Comme peu de joueurs, il aura su faire ressortir ce que le football peut véhiculer de plus beau : l’émotion. Mieux, les émotions. La crainte, d’abord, pour ses adversaires, ayant conscience d’être opposés à un rempart unique.

La fatalité, lorsqu’en finale de la Coupe du Monde 2006, il repousse la tête de Zidane en corner d’un arrêt fabuleux. La tristesse, quand il se retient de fondre en larmes après avoir perdu contre l’Espagne en finale de Coupe d’Europe 2012 et contre le Barca lors de la dernière finale de la LDC. Le bonheur, en septembre 2015 quand, à 37 ans, il sort un match monstrueux sur la pelouse de Manchester City. Enfin, Buffon inspire un sentiment que seuls quelques footballeurs arrivent à éveiller. Le respect total, chez les spectateurs comme chez ses équipiers, ses adversaires et les autres gardiens. 15 ans dans le même club, un partenaire souriant, bienveillant; un capitaine à l’écoute; un homme simple; un adversaire toujours aimable et humble. Une certaine idée du football en perdition à laquelle la FIFA et, visiblement, la rédaction de France Football, préfèrent une vision bien plus individualiste, chiffrée, médiatique, financière, où les mots « collectif » et « honneur » n’ont plus vraiment de place.

Souvenirs

Alors au fond, un peu pour se consoler, on se dit que la plus belle récompense que Gianluigi Buffon pouvait avoir, c’était de ne même pas figurer parmi cette liste de joueurs. Parce que de toute façon les passionnés savent bien que le meilleur, c’est lui, à jamais, que le Monsieur avec le numéro 1 dans le dos qui relève son adversaire en lui souriant et en lui tapotant la tête après avoir arrêté son tir, c’est lui, que celui qui n’est pas parti quand son club est descendu en second division, c’est lui.

Et dans quelques années, quand le football aura fini sa métamorphose en véritable marché sans valeurs et que les gardiens seront tous des machines froides comme Manuel Neuer, il y aura un papa pour dire à son petit garçon : « tu sais, avant, ce n’était pas comme ça ». Le petit garçon, riant, dira « De toute façon, avant, ils étaient moins bons. C’est mieux maintenant ». Alors le papa regardera son enfant avec un tendre sourire, lui ébouriffera le crâne et pensera, avec émotion, « non, avant, il y avait Gianluigi Buffon ».

@nicolas_basse